Traversée du Sahara

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Mercredi 27 juillet 1977.

PK 1007 - Tabankort, PK 1130. (123 km)
(Mali)

La piste ? De la tôle affreuse, des cailloux, des trous, mais nous avons le moral ! On chante dans la voiture, on essaye de coincer les perdrix grasses comme des poules qui courent devant le capot, et s’envolent au dernier moment, comme pour nous narguer… On rêve de rôti préparé par Marc, le cuistot ; Pierre coud des chiffons pour se faire une ceinture portefeuille.

Nous arrivons à Anefis, un petit village perdu parmi les épineux, dans une brousse infâme… Nous sommes à nouveau à court d’essence, et le seul policier du village n’a pas une goutte à nous céder. Sa vieille 404 est sur cales depuis bien longtemps déjà, semble-t-il, en tout cas elle disparaît sous une grosse couche de poussière ! Le moral en prend un coup, parce que nous pensions trouver de quoi nous ravitailler ici ! Nous plantons la tente devant le poste des militaires, et nous tenons une réunion au sommet. Pancho et moi partirons à Gao, alors que Marc et Pierre feront une escale forcée de quelques jours dans ce petit village où l’eau de l’unique puits est jaunâtre et a un affreux goût de purin. Nous passons l’après-midi avec le gros flic du village. Il n’a pas beaucoup de travail, ici, et il trouve la vie très agréable ! L’eau ? Il prétend que c’est la terre autour du puits qui lui donne ce goût, mais « elle est très bonne »…

Quand le soleil se fait un peu moins mordant, nous siphonnons le réservoir de la 404, et nous continuons vers Gao avec la 4L, car c’est la voiture qui consomme le moins. Pierre et Marc risquent de trouver le temps long en attendant que nous leur renvoyions de l’essence ! Nous n’aurons aucun moyen de communiquer, car il n’y a pas de téléphone dans ce petit bled ! La chaleur fait place à la douceur nocturne, et nous nous arrêtons à Tabankort pour passer la nuit.

 

Jeudi 28 juillet 1977.

PK 1130 - PK 1370 : Gao. (240 km)
(Mali)

Dès le matin, nous avons la visite d’un Targui bigleux et de deux gamins. Nous leur donnons quelques rations de pain de guerre, mais le vieux reste la main tendue en louchant sur le reste de nos provisions… Nous n’allons tout de même pas jusqu’à lui préparer des tartines, mais nous remarquons que ce n’est pas une bonne solution de donner un peu partout, et nous sommes fatigués de jouer les épiciers bénévoles… « Dis, t’as pas du sucre ? T’as pas du sel ? T’as pas gâteaux ? T’as chemise à ma donner ?… ». Ras-le-bol ! Ces pauvres gens n’ont rien, sur l’unique étagère de leur épicerie, il n’y a que quelques boîtes de sardines rouillées qu’ils n’ont même pas les moyens d’acheter ! Nous ne pouvons pas faire mieux que de compatir. Il faut venir ici pour se rendre compte que nous sommes des privilégiés, chez nous alors que d'autres personnes sont nées sous une mauvaise étoile, ou plutôt sous une mauvaise latitude...

 

     

 

Après Tabankort, la piste n’est pas tellement évidente à suivre, mais comme nous avons la boussole, et que nous sommes rusés, nous nous tirons très facilement d’affaire ! Puis voilà le sable. Un plateau couvert de petites dunes, avec un sable fin qui court au ras du sol, poussé par un vent brûlant ! Ça forme comme un petit nuage flou au-dessus de la piste, nous cachant le relief du terrain : c’est très gênant ! Nous sommes en plus obligés de rouler toutes vitres fermées, et avec le chauffage de façon à empêcher le liquide de refroidissement de bouillir ! C’est infernal, le thermomètre oscille entre soixante et soixante-cinq degrés dans la voiture ! Nous ménageons davantage le véhicule que nous-mêmes !

En plus, un passage de sable mou nous arrête… Nous avons la technique pour nous sortir de ce genre de piège, mais il faut tout de même déblayer devant les roues, poser les échelles, pousser… et le plus dur, c’est de récupérer les échelles métalliques à la fin, car la voiture les plante à chaque fois dans le sable, et il faut creuser pour les arracher du sol.

Première crevaison… Nous roulons parmi des arbustes dont les épines ressemblent à des clous de charpentiers ! Comme nous dégonflons les pneus à un kilo de pression, ils en deviennent très vulnérables ! Une deuxième crevaison, puis une troisième ; et nous arrivons à Bourem, un bled perdu au bord du Niger. Le fleuve est presque à sec, et il n’occupe que le fond de son lit, très loin de la rive. On dirait un petit oued sans importance. La saison des pluies n’a pas commencé!

 

      

 

Nous longeons donc le Niger en direction de Gao. La piste est affreuse, défoncée, coupée de bancs de sable, d’ornières, agrémentée de tôle ondulée… C’est l’enfer pendant presque cent kilomètres. Il nous faut rouler à vingt à l’heure, nous arrêter pour choisir l’endroit où l’on pourra passer sans problème, reconnaître le terrain à pied ! Et toujours ces buissons d’épineux… nous crevons cinq fois ! Pancho est obligé, à chaque fois, de démonter le pneu, de coller une pièce sur la chambre à air… et avec la chaleur, ce n’est pas ce qui l’amuse le plus ! Il est découragé, et moi, j’en ai marre de conduire dans de telles conditions ! Nous aimerions être à cinq mille kilomètres d’ici, au bord du Gabas, à Sévignacq !

Nous finissons bien par arriver à Gao à la tombée de la nuit, mais dans quel état ! Nous sommes couverts de poussière, assoiffés, affamés, fourbus, mais heureux, car nous sentons qu’un minimum de confort s’annonce à l’horizon. Il nous faut laisser nos passeports au poste de police à l’entrée de la ville, et nous allons directement à l’hôtel Atlantide. La chambre est presque propre, des moustiquaires un peu trouées sont tendues comme des baldaquins au-dessus des lits, mais dans la salle de bains, pas une goutte au robinet ! Nous étions prêts à intervenir auprès de la direction de l’hôtel, lorsqu’un employé se présente à la porte avec deux grands seaux d’eau… Alors là notre joie n’a plus de bornes : nous attendions une douche, on nous offre une cascade ! C’est plus que du confort, c’est le grand luxe ! L’employé comprend très bien qu’il aura de nombreux voyages à faire… car nous comptons bien enlever tout le sable qui nous recouvre de la tête aux pieds. Aussi, nous nous lavons à grands coups de seaux d’eau.

Nous descendons au bar, et nous sommes presque fringués comme des ministres. Presque, car la poussière s’est infiltrée partout, et nous n’avons plus un vêtement de propre ! Nous buvons avidement une bonne bière fraîche, et ça, c’est un plaisir qu’on ne devrait pas oublier de sitôt ! L’obsession durant ces treize jours de traversée du désert a été une bière avec de la buée sur la bouteille… et elle est là, devant nous, posée sur le bar… et on peut même avoir des glaçons si l’on veut ! Nous avons une pensée émue pour Marc et Pierre qui sont là-bas, à Anefis, en train de siroter leur purin tiède !

Nous dînons avec un vrai repas, dans de vraies assiettes, en buvant de l’eau fraîche et transparente. Nous avons bien fait de traverser le Sahara, ça nous a redonné de sens de la vie. Tous ces petits plaisirs quotidiens, nous y sommes tellement habitués, chez nous, que nous ne les apprécions même plus ! Ici, le moindre verre d’eau nous procure une telle joie que nous le dégustons comme s’il s’agissait d’un cru de vin millésimé ! En fin de compte, le Sahara, c’est comme les coups de marteau sur la tête, ça fait du bien quand ça s’arrête !

Le soir, nous allons traîner dans les rues en terre de la ville. Seuls les axes principaux sont goudronnés. Nous retrouvons les camionneurs rencontrés à Tessalit. Il y a beaucoup d’ambiance au « Twist-Bar », sorte de bar louche où la bière coule en cascade et où des filles vulgaires ricanent comme des oies affolées dès qu’on passe devant la porte ! Nous, nous préférons l’ambiance plus feutrée du bar de l’hôtel, et nous nous payons même le luxe de boire quelques Whiskies avec des glaçons.

 

Vendredi 29 juillet.

Gao.- (0 km).
(Mali)

C’est bien de dormir à l’hôtel, mais c’est un luxe qui revient cher ! Pour 4000 francs maliens (le prix d’une chambre dans un "trois étoiles" en France), nous n’avons ni draps, ni électricité, bien que le ventilateur soit installé, ni eau courante ! Mais le lit est bon, l’eau du seau n’est pas rationnée pour la douche, et la moustiquaire arrête presque tous les moustiques !

Nous voulons changer de l’argent, mais la banque du Mali n’accepte ni les billets de cent francs, ni ceux de cinq cents… et c’est justement les devises que nous avons apportées ! Nous nous débrouillons pour obtenir des dollars avec des touristes ; mais pour le change de cette monnaie américaine, il nous faut passer deux heures trente à la banque, car le cours du Dollar a changé justement aujourd’hui, alors le caissier doit faire ses calculs sur une demi-feuille de carnet, et ce n’est pas tout simple ! En sortant de la banque, je voudrais récupérer nos passeports, mais il me faut une assurance malienne pour circuler dans le pays en voiture. Je vais au bureau de l’assureur, mais il est justement parti pour la journée ! Alors il faudra attendre demain pour être en règle. Comme Gao est une petite ville et que les policiers savent que je n’ai pas d’assurance, je n’ai pas intérêt à utiliser la voiture, car ils en profiteraient pour me donner une amende… Ah ! C’est dur les colonies ! Nous traînons nos espadrilles dans les rues de Gao, et nous amassons de gros paquets de poussière qui se collent sur nos pieds « pédicurés » de frais. Nous nous adaptons fort bien au rythme africain : sieste, promenade à petits pas dans les rues, repos sur les marches de terre d’une maison de la ville…

Le soir nous mangeons pour 200 francs CFA dans un petit troquet qui ne mérite le nom de « restaurant » que pour les autochtones… Le riz au sable, c’est croustillant et ça bourre ! Nous sommes bien !

Nous rencontrons des Français qui retournent au pays par le Tanezrouft. Ils vont donc passer à Anefis. Nous leur confions deux nourrices d’essence pour nos malheureux compagnons de voyage qui doivent se morfondre en buvant de l’eau croupie sous leur arbre !

Dans la rue, nous rencontrons Claude, le camionneur, et il est très satisfait, car il vient d’échanger une mécanique de 404 stockée dans son camion et une somme de cent mille francs maliens, contre tous les permis poids lourds, même le transport en commun, et sans même toucher un volant. Il estime que c’est une bonne affaire, car ces permis sont reconnus en France. Ici, il suffit de connaître du monde ! Dorénavant, il pourra traverser la France sans avoir recours à un chauffeur « diplômé ».

 

Samedi 30 juillet 1977.

Gao.  (Mali)

Nous flânons au bazar des antiquaires le matin, et nous allons au camp des Touareg pour leur demander de fabriquer une Croix du Sud en argent avec les pièces de cinq francs que j’ai apportées de France. J’assiste au travail de l’artiste : il place quatre pièces dans un petit creuset de terre qu’il recouvre de charbon de bois. Un gamin actionne le soufflet très rudimentaire, composé de deux poches de cuir. Le charbon devient ardent et l’argent fond rapidement… (C’est ce qu’on appelle de l’argent liquide) alors, le Targui creuse un moule dans le sable, et il y coule le métal en fusion. Il obtient ainsi une barre épaisse comme le doigt qu’il entreprend d’aplatir à coups de marteau sur une enclume fabriquée avec un cardan de camion. En prenant modèle sur le schéma que je lui ai donné, le forgeron-bijoutier ébauche la croix à l’aide d’un burin, puis il termine le travail à la lime et au poinçon. Le résultat est remarquable !

Le soir, nous sortons et nous allons boire l’apéritif avec des voyageurs comme nous, rencontrés par-ci par-là. Claude arrose ses nouveaux permis et ce n’est pas triste ! Il connaît déjà la moitié de la population de Gao, et à lui, tout le monde le connaît. C’est ça le sens de la relation publique ! Nous nous rendons au Twist Bar, le lieu de rendez-vous de la jeunesse de Gao ! Les fréquentes pannes de courant font que la musique passe en pointillés, mais ça braille bien, et les Africains sont contents ! Nous avons vu un gamin de neuf ans venir acheter une bouteille d’un quart de litre de Whisky et goûter à grands coups au goulot pour juger lui-même de la qualité du produit… Même Pancho ne faisait pas ça quand il était « à la communale » !

 

Dimanche 31 juillet.

Gao. (Mali)

Je filme la rue quand un policier m’interpelle, et me demande « mon permis de photographier ». Il me récite une litanie apprise par cœur, avec cette façon de s’exprimer un peu désuète qu’ont les Africains soucieux d’étaler leur instruction et leur culture. : « Tu n’as pas le document nécessaire à la pratique de la prise de vues photographiques. Tu dois donc me suivre au poste de police où l’on va te délivrer expressément ce document indispensable ! » Me voilà donc prêt à perdre une bonne partie de la matinée en formalités inutiles. Ciel que les Africains sont paperassiers ! C’est peut-être une façon de se rassurer et de s’imaginer que des lois existent, et qu’elles sont appliquées ! Je signe un document où il est mentionné que je peux « photographier les monuments publics, les lieux publics, les places publiques, mais pas les casernes, ni les militaires, ni les choses pouvant porter atteinte à la pudeur, à la sécurité ou nuire à la République du Mali ». C’est précis et vague à la fois !

Je pars flâner sur le marché. Les miasmes pestilentiels me guident vers les étals de poissonniers. Les mouches tournent inlassablement autour de poissons qui n’ont plus depuis longtemps l’air appétissant. Les marchands agitent nonchalamment leur chasse-mouche, mais les insectes attendent qu’ils soient occupés à rendre la monnaie pour vite aller pondre un petit œuf tout frais sur les écailles ternes et gluantes. Pancho déclare que ce soir, au restaurant, il ne commandera pas de poisson… en cas… Deux charmants petits gosses qui me suivent partout depuis jeudi me guident dans la ville :

__« Dis Patron, t’y veux du thé ? Achète du thé !

__Non, j’en ai déjà…

__Patron, y’en a beaucoup du riz, c’est bon tu sais le riz !

__Ouais ouais, mais j’en ai déjà ! Et puis ne m’appelle pas « Patron » !

__D’accord !… Patron ! Tu veux pas la viande du mouton ?

__Non ! et je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler « Patron », ça m’énerve !

__D’accord Patron! »

Même les enfants ont du mal à se débarrasser de leurs manies ! Ils disparaissent un instant, vont acheter pour cinquante francs maliens de thé qu’ils m’offrent l’air épanoui : « Tiens, c’est cadeau, patron ! »

L’après-midi, entre deux douches, je flâne parmi les étals d’antiquaires, et je réussis à me laisser séduire par une petite statue africaine d’art très naïf. Je l’échange contre des pièces de cinq francs en argent. J’ai fait baisser le prix en divisant par quatre, la somme demandée par le marchand. Je suis satisfait de mon acquisition, le commerçant me cède l’objet avec un air déçu, mais je sais bien que lui aussi a fait une affaire. C’est ça le marchandage : le client est sans pitié, il faut savoir lui donner l’impression qu’il a conclu le marché qui va contribuer à mettre le commerçant sur la paille !

Il est cinq heures en cette fin d’après-midi dominicale, quand un assourdissant vacarme éveille tous les Africains assoupis sous leur arbre ou dans leur échoppe. Les gosses arrivent en courant : « Patron, patron ! Tes amis sont arrivés ! ». Pierre et Marc descendent de leur tas de ferraille couverts de poussière : « Ah ! Nom de Dieu, on s’est payé un vent de sable à ne pas y voir à dix mètres ! En plus, le pot d’échappement a lâché ! » Malgré les quatre jours à attendre sous un arbre, nos deux lascars n’ont pas l’air déprimé. Quelques jours de plus, et ils devenaient chefs du village !

Dès leur arrivée à l’Hôtel Atlantide, ils réhydratent leurs cellules à grands coups de bières fraîches. Marc croit rêver !

Nous partons, avec nos deux petits guides, au bord du Niger, dans un petit village très sympathique. Nous nous installons dans un coin tranquille, Marc sort une cassette de rythmes africains du Burundi. Il monte un peu le volume de l’autoradio, et des gosses intimidés au début, se mettent à taper dans les mains, et à frétiller en cadence. C’est bientôt tous les gosses du village qui entourent les voitures, et l’ambiance est à la fête !

 

 

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