Traversée du Sahara

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Jeudi 21 juillet 1977.

PK 83 - PK 330. (247 km).
(Algérie)

  

Nous partons au lever du jour. La nuit a été fraîche, et il fait très bon… Du moins, il nous semble ! La piste est assez roulante, parce que c’est un reg noir et luisant au soleil qui nous sert de route. Le reg, ce sont de petits cailloux qui sont remontés à la surface. Si on fouille un peu sous cette couche noire, on ne trouve que du sable ! Il y a bien quelques passages mous, mais avec l’expérience et un peu d’attention, on finit bien par les éviter. Alors, pas trop de problèmes ce matin ! La 4L ne tire pas dans le sable, et à aucun moment je ne peux passer la quatrième. Nous roulons donc à cinquante km/h… Nous nous fions aux balises placées tous les kilomètres ou tous les deux kilomètres environ. Ce sont des fûts de cinquante ou de deux cents litres, parfois de gros pneus de camions, parfois des épaves de voitures de tourisme. Nous nous dirigeons alors droit sur ces jalons. Si nous ne pouvons pas localiser la balise, nous montons sur le toit de la voiture, et fouillons le désert, avec les jumelles. Il faut parfois se méfier, parce qu’une pierre de la grosseur du poing prend, à cause de la réverbération, l’aspect d’un camion ou d’une balise ! Le Tanezrouft est plein de pièges ! Les mirages, nous en avons sans arrêt sous les yeux, et heureusement que nous sommes avertis, car, parfois, de superbes lacs barrent l’horizon ! Les traces de roues partent dans tous les sens, et la piste mesure plusieurs kilomètres de large ! Les routiers empruntant ces itinéraires connaissent parfaitement les lieux, et suivant les périodes de l’année, ils empruntent des parcours différents. C’est ce qui explique tout. De plus, les traces peuvent rester très longtemps sur le sable, puisqu’il n’y a pas de pluie pour les effacer ! Aussi, quand nous ne voyons aucune balise, nous redoublons de prudence, et nous ne sommes rassurés que lorsque nous la retrouvons enfin ! La chaleur devient de plus en plus accablante. Après le poste Weygand, nous tombons en plein vent de sable. Nous revenons sur nos pas, et nous allons nous abriter dans les demi-saucisses métalliques que l’armée française a eu la bonne idée de laisser sur place. C’est un abri de tôle épaisse, aéré sur les parois latérales, ce qui donne l’impression de pouvoir respirer un peu mieux. C’est presque l’air conditionné ! Le courant d’air nous redonne le moral, et suffisamment de force pour que nous puissions nous permettre de chanter des chansons de bistrot. Je ne dis pas « des chansons à boire », car justement nous ne buvons pas, ou du moins nous nous rationnons. Hier, nous avons bu quinze litres en moyenne par personne… donc, tant que nous n’avons pas trouvé la citerne du PK 400, nous essayons d’économiser l’eau ! C’est tout de même la grosse forme, devant une boîte de « Corned beef » ! Marc rêve de bière, et il ne parle que de fontaines. Il nous décrit le clapotis de l’eau avec tellement de détails et d’une voix si lointaine que nous pensons qu’il est dans un état second… Il est certain de se trouver au bord de l’eau ! Le nuage qui empêche sa joie de rayonner, c’est justement le fait que dans le ciel, il n’y en a pas, de nuages ! Et la chaleur est telle que nous n’arrivons plus à raisonner normalement, par moments ! Mais le moral est bon !

À sept heures et demie, nous remontons dans notre caisse de ferraille pour suivre inlassablement l’itinéraire balisé de fûts de tôle et de carcasses de voitures. Le décor est plat et monotone, nous avons l’impression de tourner en rond dans un océan. C’est fascinant, c’est fantasmagorique, c’est dingue, c’est inqualifiable ! Le chauffage nous brûle les pieds, le sable fait crisser nos paupières et rend les propos grinçants. Au PK 330, nous trouvons un camionneur en panne. Il a cassé un piston de son camion, et depuis quatre jours, il attend que la pièce arrive. Il attendra peut-être une semaine de plus si le piston de rechange doit arriver d’Alger ! Ça n’a pas l’air de le tracasser, c’est une chose normale. Ici, on sait ce que veut dire le mot solidarité ! Le routier qui lui rapportera la pièce ne le connaît peut-être même pas ! Il saura seulement qu’au point kilomètre 330, un collègue attend une pièce vitale pour pouvoir sortir de l’enfer ! En attendant, les morceaux du moteur démonté gisent sur une couverture étendue sur le sable chaud. Un long camion chargé de chèvres arrive sur ces entrefaites, et bien entendu, le chauffeur a su, par « le téléphone arabe », que nous étions dans les parages : il a croisé le vieux Berliet qui doit déjà se trouver au Mali en ce moment ! Nous sommes donc une bonne dizaine autour des véhicules quand la nuit tombe, c’est presque la fête ! Et dans de telles circonstances, on nous offre le thé. Nous en buvons un, puis deux, puis trois ou quatre, c’est délicieux ! Même Pancho se régale. Nous essayons de faire boire du potage déshydraté au chauffeur du poids lourd en panne, mais il trouve cela infect. Du délicieux velouté de champignons… quel rustre ! Il mange de la viande de chèvre séchée au soleil et ça pue tellement la bête morte qu’on croirait qu’il dévore un cimetière ! C’est là qu’on voit qu’on a chacun ses habitudes et ses goûts.

 

   

 

Une fois restauré et désaltéré, le gars s’improvise coiffeur. Il se montre très doué pour couper les cheveux de Marc. On voit bien qu’il a l’habitude de tondre les moutons ! Cependant, si on en juge d’après l’échantillon qui se présente à nos yeux, les moutons, ils doivent être invendables après être passés sous sa tondeuse : Marc se retrouve rasé d’un côté, avec des trous et des irrégularités qui nous font espérer que la casquette masquera suffisamment les dégâts ! Ce n’est pas une belle tonte tontaine tonton, lonlaine long long ! Satisfait de son œuvre, à deux doigts de réussir au CAP de coiffeur, le camionneur barbier part se coucher sur sa couverture posée à même le sable de l’inhumain désert des déserts. Avant de l’imiter, je tente, mais en vain, de rattraper les dégâts causés par les ciseaux dévastateurs du néophyte…

 

Vendredi 22 juillet.

PK 330 - PK 583. (253 km).
(Algérie)

  Nous traversons le tropique du cancer... et arrivons au PK.400.

   

Au réveil, nous sommes tous de bonne humeur. Marc a enfoncé sa casquette sur les oreilles, car il n’a plus grand-chose sur le crâne pour se protéger du soleil ! Dans la nuit, le vent m’a obligé à aller me réfugier dans la fourgonnette. Les copains restés dehors sont couverts de sable, à moitié sourds puisqu’ils ont « les portugaises ensablées » !

Nous sommes à cinquante kilomètres du réservoir d’eau, et notre ami coiffeur nous promet de fameux passages de sable, avant d’y arriver : les dunes du PK 400 ! Nous passons juste le Tropique du Cancer. Seul, un panneau de tôle cuit par le soleil nous signale l’événement. Ça mérite tout de même une photo ! C’est bizarre ce qu’un simple panneau de tôle cuit par le soleil peut avoir comme intérêt au cœur du désert ! Il est couvert de graffiti du style « le 12 janvier 1975 Josette et Valentin sont passés par ici »… Si nous avions un crayon-feutre, nous écririons « on a chaud! »

Soudain, nous repérons, à l’horizon, la masse sombre de la citerne d’eau ! C’est le paradis à portée de gosier : on va pouvoir boire à volonté, se doucher, et peut-être même laver nos gandouras ! Comme si les mauvais esprits du désert voulaient nous imposer un supplice de Tantale, voilà qu’on s’ensable dans les petites dunes juste avant d’arriver au « paradis ». Marc et Pierre ont passé l’obstacle sans problème, leur 404 étant plus puissante que notre petite 4L fatiguée ! Pendant qu’on manie la pelle, qu’on pose les échelles de désensablage, qu’on sue sang et eau… on voit nos deux compagnons, à deux cents mètres de nous, se lancer de l’eau à la figure… Eux au Paradis, nous en Enfer ! Le monde est injuste ! Nous abandonnons même la voiture à une centaine de mètres du réservoir, car nous ne tenons plus : on reviendra la désensabler quand on aura bu tout notre saoul ! Ce point d’eau du PK 400 n’est autre qu’une citerne métallique à demi ensablée et réapprovisionnée en eau de temps en temps par des camions. L’eau est presque fraîche, car il est encore tôt, mais je pense qu’en fin de journée, elle peut servir à préparer le thé ! Nous pouvons boire, car elle est presque claire. Un oiseau qui nageait et se baignait dans le réservoir ces jours derniers se contente de flotter pattes en l’air aujourd’hui. D’où peut venir un oiseau dans cette contrée où nous n’avons pas vu le moindre insecte depuis notre début de traversée ? Comment cette pauvre bête assoiffée a-t-elle pu se noyer en plein désert du Tanezrouft ? Les animaux ont eux aussi une drôle de destinée, parfois ! Un oiseau dans dix mille litres d’eau, ce n’est pas suffisant pour polluer : alors, nous buvons goulûment ! Les « aventuriers du désert », camionneurs ou autres nous ont surtout recommandé de ne pas gaspiller l’eau si précieuse en ces lieux. Nous évitons les excès, mais nous faisons tout de même la lessive des vêtements indispensables ! Pour faire sécher nos gandouras, il suffit de les tenir à bout de bras pendant deux ou trois minutes, comme des drapeaux flottant au vent du désert. L’air est tellement sec que nous ne voyons jamais une goutte de sueur sur notre visage ; le papier de la carte craque quand on le déplie comme s’il allait se briser… zéro pour cent d’humidité ? Peut-être ! Nous remplissons nos bidons de réserve : cent litres pour la 4L, deux cents pour la 404 qui est plus puissante ! Pierre laisse tomber le pot au lait servant à remplir les jerricans au fond de la citerne. Nous pensons tous que c’est une excuse pour plonger et se baigner ! Il est bien propre et bien douché, mais tout de même… Il se faufile par l’ouverture ronde de la citerne, et il barbote dans l’obscurité. Il n’a pas pied, et s’il ne revient pas sous l’ouverture par où on peut lui tendre la main, il n’a aucune possibilité de s’accrocher aux parois du réservoir ! Il finirait alors comme l’oiseau de tout à l’heure, car aucun d’entre nous ne serait assez fou pour aller se fourrer dans ce piège ! Je suis un peu inquiet. Pierre remonte : il a récupéré le pot, mais il avoue que c’est impressionnant de se trouver dans cet antre obscur !

Nous repartons, et nous passons des portions de sable très mou qui nous valent plusieurs ensablements pour les deux voitures. Heureusement que nous avons récupéré des forces en buvant ! Nous nous rendons compte alors comme l’eau est nécessaire et peut redonner vigueur ! Pancho lui prête même davantage de vertus qu’au vin de Madiran ! La piste n’est plus évidente à suivre, il faut louvoyer entre les dunes, juger de la couleur du sable pour anticiper : passera ou plantera ? On arrive à passer sans trop se planter quand on se montre très attentif ! Il ne faut surtout pas s’arrêter ! La 4L semble avoir un peu plus de puissance, comme si l’eau que nous avons bue lui avait fait du bien ! Pancho prétend que c’est le moteur qui se « débride » enfin.

Des ruines à l’horizon : c’est « Bidon V », une ancienne base militaire. Les bâtiments sont en mauvais état, mais ils pourraient servir d’abri si l’odeur ne les rendait pas inhabitables ! Pourquoi les gens vont-ils faire leurs besoins dans cet endroit, alors que tout autour, des milliers de kilomètres carrés de désert s’offrent à eux ! Ils ne vont tout de même pas dire qu’ils ont peur des voyeurs ! Au PK 450, nous sommes pris dans un vent de sable des plus violents. Devant nous, la 404 semble flotter dans un nuage jaunâtre. Ce sable présente plusieurs dangers : d’abord on risque de se perdre, car on ne voit plus les balises, ensuite il est très abrasif pour le moteur. Pierre voudrait continuer, et il n’est pas facile de le ramener à la prudence… Nous nous arrêtons pendant une bonne demi-heure. Dans la voiture, c’est infernal ! Le sable fin pénètre partout : nous sommes obligés de calfeutrer les ouvertures, et de ce fait nous transpirons à grosses gouttes ; la poussière forme, sur nos visages ruisselants, un crépi du plus bel effet ! Nous voilà maquillés et prêts à jouer le rôle de la femme de Loth, celle qui n’était plus sel ! Nous sommes bientôt transformés en Apollons couleur sable, et nous serions capables d’enthousiasmer un esthète dans la vitrine d’un musée de statues ! Nous ne disons plus rien, car le sable croustille sous nos dents. C’est dur le désert ! Dès que le soir arrive, nous campons dans un coin tranquille, comme toujours. C’est le point kilomètre 583… Couchés sur le dos, nous passons un grand moment à observer le ciel sillonné par les satellites, et nous repérons même un objet non identifié qui avance tout lentement en zigzags. Après les mirages, voici les OVNIS du Sahara ! Illusion collective ou fait réel : nous voyons tous ce point lumineux se déplacer en hésitant. Le vent se lève, mettant « faim » à notre méditation qui devient plus terre-à-terre devant une biscotte de pâté de campagne plutôt ramolli.

 

    

Samedi 23 juillet 1979.

PK 583 - PK 783. (200 km).
(Algérie-Mali)

Pour arriver à la frontière, à Borj Mokhtar, ce n’est pas sans repos : piste défoncée, du sable plutôt mou dans lequel nous ne manquons pas de nous enliser de temps en temps, tôle ondulée à tout casser par moments, et le choc sinistre des cailloux qui touchent parfois le blindage du moteur… Soudain, que voyons-nous, tel un mirage, sur le bord de la piste ? Des boîtes de lait concentré ! Plein de boîtes tombées d’un camion, certainement, vu qu’aucune vache ne pointe à l’horizon ! C’est la manne tombée du ciel ! On a déjà vu ça quelque part ! (Exode, XVI, 15). Quelle aubaine ! Pancho goûte : ô joie ! C’est bon ! Nous chargeons vingt boîtes d’un demi-litre dans la voiture, et nous buvons tout de suite un café au lait. Pas besoin de faire chauffer l’eau se trouvant dans les bidons exposés au soleil sur les galeries des voitures : elle est brûlante ! Qui aurait pu croire qu’on peut se procurer du lait concentré sur le bord de la piste du Tanezrouft ? Comme toute personne qui vient de trouver quelque chose sur son chemin, nous roulons maintenant en scrutant le bord de la piste pour nous assurer que la providence n’a pas placé d’autres bonnes surprises sur notre chemin… On ne sait jamais, on peut peut-être trouver aussi un carton d’eau minérale, ça nous changerait du liquide douteux que nous buvons depuis notre départ !

Nous arrivons en vue du poste de douane de Borj Mokhtar : quatre bâtiments de terre, une citerne qui domine le tout, des gosses noirs, des militaires partout… Nous sommes encore en Algérie, et pourtant, c’est une autre Afrique, ce n’est plus le Maghreb ! À la douane, les formalités sont rapides, car les douaniers tuent une chèvre, et ils préparent un méchoui monstre. Nous ne sommes pas invités !

Nous refaisons les provisions d’eau dans un bassin en plein air où un maçon vient inlassablement remplir son seau. Cette eau est meilleure, tout de même, que celle de la citerne du point kilomètre 400 !

Nous laissons le maçon à sa maçonnerie, les policiers à leur méchoui, et nous reprenons la route ou plus exactement la piste… Le désert n’est plus le même, le sable porte mieux, mais il alterne avec des plaques de roches pointues… Il faut se méfier, car nous roulons souvent avec des pneus sous gonflés pour passer plus facilement dans le sable. Soudain, que voit-on à l’horizon ? Est-ce un mirage, un effet de la réverbération ? Non, c’est bien un arbre, un vrai, en bois ! Le premier depuis plus de mille kilomètres ! Un arbre avec un tronc sur lequel on peut faire pipi ! Et nous le photographions, car il a vraiment du courage de rester planté là sans bouger, dans cet environnement hostile ! Est-ce qu’en France nous photographions les arbres ? Non, car ils n’ont aucun mérite : ils se contentent de pousser, et on les maltraite, on les ignore, on les coupe pour faire des cageots… Ici, cet arbre est un héros, un héros généreux… d’ailleurs, il nous prête son ombre quelques instants, nous avons même envie de partager notre eau avec lui.

Plus loin, ce sont les petits buissons d’épineux qui font leur apparition. Ils font ce qu’ils peuvent, eux aussi, pour abriter notre sieste comateuse. Il nous semble avoir retrouvé un paysage plus humain : la couleur verte réconforte !

Puis nous rencontrons la première caravane de Touaregs juchés sur de blancs dromadaires. Pancho se sent tout chaviré par la beauté des femmes, il est si intimidé qu’il reste « sans maudire ». Les hommes drapés dans leurs vêtements d’un bleu presque noir, ont une noblesse d’autant plus impressionnante qu’ils nous dominent du haut de leur monture. Ils nous demandent de l’eau qu’ils boivent à tour de rôle, presque religieusement, à même le pot que nous leur offrons. Nous leur laissons quelques biscuits de l’armée, ce « pain de guerre » aussi dur que des tuiles…

L’horizon jaunit, s’assombrit, puis un gros nuage ocre grossit, juste en face de nous, et se rapproche en tournant et en grondant sourdement de temps en temps. Soudain, le vent devient violent, soulève le sable qu’il projette dans les lentilles de Pancho qui avance à tâtons. Obligés de nous arrêter, et de nous barricader dans la voiture, comme nous l’avions déjà fait hier. Nous attendons placidement, en avalant une poussière fine qui se faufile par le moindre trou, et Dieu sait s’il y en a des « moindres trous » dans notre vaillante 4L ! Quand le vent se calme, nous avons changé de teinte : par mimétisme, nous sommes devenus couleur sable. Le plus étonnant c’est cet individu solitaire qui sort de nulle part dans son « boubou » bleu ciel… Bien que la bourrasque ne soit pas tout à fait calmée, il se prosterne en direction de La Mecque, car c’est l’heure de la prière… Il nous explique, dans un français presque correct, qu’il habite non loin d’ici avec sa famille. C’est sur notre chemin, donc Marc et Pierre se proposent de le ramener à domicile. Non loin d’ici, c’est tout de même à plusieurs kilomètres ! Nous qui ne pouvons faire le moindre geste sans se jeter sur la bouteille d’eau, nous restons pantois devant ces gens du désert qui s’aventurent loin de chez eux sans emporter le plus petit flacon de liquide… C’est ça l’acclimatation ! Nous devons passer pour des sauvages, car lorsque nous laissons notre « auto-stoppeur » devant sa tente de berger nomade, nous ne prenons même pas le temps de rester boire le thé avec lui ! Nous voudrions bien, mais il nous faut rouler le plus possible avant la nuit, car nous aimerions rallier Tessalit ce soir, et nous venons d’être retardés par ce maudit vent de sable… « Retardé » voici un mot qui ne doit pas exister dans le vocabulaire de ces gens du désert !

 

     

 

En fin d’après-midi, le ciel prend une teinte d’encre, de cette encre violette qui a tant de fois maculé mes petits doigts d’écolier… Allons-nous avoir droit à une autre tempête de sable ? Soudain, je n’en crois pas mes yeux : une grosse goutte vient de s’écraser sur le pare-brise. Puis une autre, puis c’est une véritable averse qui nous fait sortir de nos voitures ! Ce matin encore nous étions en plein désert inhumain, ce soir nous sentons la pluie douce dégouliner le long de notre corps grillé par le soleil du Sahara ! Mais la douche est de courte durée, et l’orage a eu lieu juste avant notre passage, ne nous laissant que des inconvénients : oueds débordants de boue, piste coupée par le ruissellement de dizaines de torrents, et surtout d’immenses flaques que Pierre ne se donne même pas la peine de contourner. La 404 projette de grandes gerbes de boue rouge sur les côtés, et elle ressemble à un immense papillon qui battrait des ailes… Pancho venait de me dire que les jeux de gamin de Pierre risquaient de mal finir quand justement, sa voiture se plante au beau milieu d’un oued : de l’eau jusqu’à mi-portières ! Dans la vase jusqu’aux genoux, il faut pousser, suer, creuser, sans succès, et le sable mouillé, c’est très lourd à déplacer ! Finalement, nous n’avons fait qu’agrandir le trou, et nous sommes contraints d’abandonner la voiture dans sa fâcheuse position. Nous pensions arriver à Tessalit ce soir, y trouver un restaurant peut-être un réfrigérateur… Tous nos espoirs de boire une bière fraîche tombent à l’eau, si je puis dire ! De plus, nous sommes très inquiets, parce que le ciel semble se couvrir à nouveau, et le sort de la 404 des copains dépend de la météo ! Nous espérions une grosse averse pour nous doucher et nous rafraîchir, et voilà que nous souhaitons que la pluie ne vienne pas former un torrent qui entraînerait la 404 pendant la nuit. Il y a peut-être plusieurs années que la pluie n’est pas tombée ici, et quand nous raconterons qu’on a dû abandonner la voiture dans un trou d’eau, les gens nous diront que les mirages, ça existe vraiment !

 

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