Dernière modification: 05/07/2012

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Ngwe Saung

 

   

 

Samedi 7 janvier 2012.

Chaung Tha. (Ngwe Saung)

Je sors un peu de ma routine quotidienne, et je pars en moto avec Younang pour la journée. Nous allons à la plage de Ngwe Saung, à une dizaine de kilomètres au sud. C'est presque une expédition. Nous commençons par traverser le village. Au bout de quelques dizaines de mètres en s'éloignant de la mer, la rue n'est plus asphaltée, et les riverains ont copieusement arrosé le sol pour éviter la poussière. Je crains une glissade en louvoyant entre les ornières, mais Younang est sur son terrain : depuis qu'il est bébé, c'est-à-dire qu'il est en âge de se déplacer en moto. Il zigzague entre les ornières, et même si elles ne sont plus à la même place, il sait parfaitement où elles se trouvent, et d'ailleurs il passe si souvent ici la nuit avec une lumière si faible, que c'est comme s'il faisait la route les yeux fermés ! Younang a vingt-deux ans, il a terminé ses études à l'université de Pathein. Ici quand on dit être Universitaire, c'est un peu comme en France quand on est collégien. Quand je lui demande ce qu'il veut faire plus tard, il me regarde avec des « yeux en phares d'auto ». Plus tard, mais il fera comme maintenant, il sera « mototaxi ». Il voit dans le tourisme son avenir assuré, et ne songe pas un instant au changement qui va survenir, obligeant les « petits métiers » à se recycler.

La piste semble plonger dans une étendue d'eau grisâtre, et nous nous arrêtons sur une placette de sable noir entourée de masures de bois bancales, aux pilotis tordus ou rongés par la vermine. Je retrouve là quatre touristes et de nombreux « locaux » qui semblent attendre, ponctuant leur conversation de crachats sanguinolents venant rougir le sable l'espace d'un instant. La pirogue qui permet de faire la navette entre les deux rives du fleuve arrive. Elle approche à quelques mètres du rivage jusqu'à ce que la proue s'enlise. Les trois passagers relèvent leur longyi et, les tongs à une main, le sac à l'autre, ils nous rejoignent sur la berge. Il y a aussi une moto. La technique est simple pour la décharger : chacun d'un côté en saisissant le repose-pied d'une main et le guidon de l'autre, on la soulève et la porte jusqu'à la terre ferme. À notre tour de monter. Les indigènes relèvent leur longyi et entrent dans l'eau, les Occidentaux ne relèvent rien, car ils sont tous en short. On hisse trois motos dans la pirogue ; nous sommes dix, et quand on pourrait croire que nous risquons la surcharge, on met trois passagers de plus, « juste pour ne pas qu'ils aient à attendre le bateau suivant » me dit Younan. Personne ne bouge et je crains que l'un d'entre nous n'éternue, cela suffirait certainement à faire couler la pirogue ! Nous louvoyons entre des bancs de sable. Sur le fond, à l'intérieur de la pirogue, le niveau de l'eau monte d'une façon inquiétante, mais nous avons le temps d'atteindre l'autre rive avant le naufrage. Guidon... repose-pied... plop ! plop ! plop !... les trois motos retrouvent la terre ferme. Les « locaux » se dispersent, et seuls les Occidentaux continuant en moto se retrouvent au bord d'un marigot près d'une de ces épiceries qui vendent toutes la même chose : des pommes chips rances, de la lessive, du dentifrice et quelques flacons de shampooing ou de lotion solaire périmée. Deux enfants propres et correctement vêtus observent tous nos faits et gestes et éclatent de rire timidement dès qu'ils croisent notre regard. Je sais ce qui les fait rire : c'est notre nez qui leur semble incroyablement long et nos poils sur les bras et les jambes. S'ils osaient, ils viendraient nous pincer le nez pour voir s'il est mou comme le leur ou s'il est dur. Bien sûr, je pourrais les autoriser à venir tâter mon appendice nasal, mais cela enlèverait une part du mystère, et parfois la vie est plus attractive lorsqu'on n'a pas réponse à tout.

Un individu patibulaire, corsaire égaré dans cette mangrove, coiffé d'une serviette de toilette, la face burinée, la peau parcheminée approche. Il tient devant lui un gros paquet gris et roux semblable à un gros vautour dont on aurait coupé le cou. Soudain, une tête énorme sort du paquet de plumes, une tête aux oreilles de chat et aux yeux si ronds, si gros, qu'on jurerait qu'ils sont de verre. Le bec crochu, le regard doré, l'énorme chat-huant nous observe avec de petits hochements de tête. Le corsaire nous demande mille kyats pour avoir le droit de photographier. Nous sommes tous d'accord pour refuser : lui donner de l'argent serait encourager ce trafic. Voyant que personne ne met la main au portefeuille, il repart dans sa cabane où il met son animal à l'abri de la lumière.

 

   

 

Nous enfourchons la moto et repartons à travers une forêt de cocotiers sur un sentier sablonneux. Vu le nombre de noix de coco sur le sol, je pense que ces « grêlons » de plusieurs kilos doivent faire un choc quand on se trouve sur leur trajectoire. Si Newton avait été sous un cocotier, nous ne connaîtrions peut-être toujours pas la loi sur la gravitation ! J'espère que le vent ne se sera pas levé pour le retour ! Car bien entendu, nous ne portons pas de casque. Nous débouchons sur une plage déserte, se perdant à la limite d'un horizon bleuté. Le sable blanc porte bien, et pour la moto, c'est un terrain idéal sans ornières parfaitement lisse. Seul, un chapelet de points noirs accroche l'œil dans cette immensité blanche, légèrement dorée. En approchant, je distingue une dizaine de pêcheurs arc-boutés, halant un immense filet de pêche, tout lentement. À plus de cent mètres, un groupe semblable tire l'autre bout du filet formant ainsi un arc de cercle piégeant les poissons. Ma caméra les amuse : les femmes jacassent entre deux éclats de rire, les hommes relâchent leurs efforts pour agiter leur main. Ils sont fiers que j'aie pris la peine de m'arrêter pour les filmer. Sous son chapeau de paille, chacun y va de son sourire : alignement de dents blanches dans un visage paraissant encore plus noir dans l'ombre du chapeau, ou bouche édentée aux chicots noirs et aux lèvres sanguinolentes des chiqueurs de bétel. L'écume blanche des vaguelettes déferlant sur la plage semble éclatante dans cette mer de lapis-lazuli. Tout est contraste : les couleurs du ciel et de la mer, de l'eau et du sable, le travail rébarbatif de ces pêcheurs tirant pendant plusieurs heures leur filet en plein soleil et leurs éclats de rire...

Nous traversons une deuxième fois en pirogue au milieu d'un marigot. À cause de la marée basse, le batelier nous laisse à une cinquantaine de mètres de la rive. Younan file en moto sur la vase mêlée de sable, et moi, je le rejoins à pied pour ne pas nous enliser à cause du poids. Sous mes pieds la vase procure une sensation agréable, douce et tiède. Des myriades de petits crabes fuient devant moi jusqu'à leur trou où ils disparaissent. Maintenant, nous roulons sur un sentier parmi les buissons et les hautes herbes tranchantes comme des lames, puis nous débouchons sur une piste tellement défoncée que je regrette le confort de la plage. Un de ces increvables minibus stationne en pleine courbe. Il n'y a pas un endroit où ces inconfortables véhicules n'ont pas accès. Nous traversons un village traditionnel. Les paillotes en bambou ou en planches noircies sont toutes couvertes de palmes. Pas un seul toit de tôle. La rue de terre jaune n'est guère fréquentée que par quelques bicyclettes, de rares motos, et peut-être par le car que j'ai vu tout à l'heure. À part une petite étagère chargée de bouteilles d'essence pour ravitailler les motos, rien n'a changé ici depuis des siècles. Dans de grands plateaux de bambou tressé posés sur le toit de l'épicerie, des poissons sèchent au soleil. Un chien dort sur la route et un petit poulet noir picore je ne sais quoi autour de lui. Au-dessus de ce décor de film exotique, de grands cocotiers balancent nonchalamment leurs palmes. Pas un seul fil électrique ou téléphonique, pas une antenne de télé. Le seul bruit qui me parvient est celui de quelques conversations de gens que je ne vois pas, mais que je devine à l'ombre, dans une chaumière, assis tailleur sur le plancher de bambou éclaté. Un rire de femme fuse. Je ne vois personne, mais je sais que tous savent qu'un étranger est là. Tout se sait dans ces petits villages, car de l'intérieur on voit à travers les « murs ». Younang s'est assis sur un petit tabouret et il cause avec l'épicière. En m'approchant, je suis surpris par la beauté simple et la tenue moderne de la jeune fille. Elle est là, vêtue d'un jean et d'un T-shirt, comme un élément anachronique dans ce village d'un autre temps. « Mingalaba » nous nous saluons en Birman. Elle sait déjà que c'est le seul mot que je connais, car elle n'a pas dû manquer de poser des questions à Younang, mais cela lui fait plaisir. Les Birmans aiment bien qu'on les salue dans leur langue. Le pays ayant été colonisé par les Britanniques, la langue anglaise ne leur convient vraiment que pour traiter des affaires avec les étrangers.

Nous reprenons notre chemin sur la piste défoncée ou à travers des sentiers de brousse quand ils sont plus carrossables que la route, et nous finissons par atteindre une route bétonnée, bordée de palmes sur la droite et de chaumières sur la gauche. Nous sommes à Ngwe Saung. D'un côté de la route les Palaces pour des résidents, Birmans pour la plupart, en cette fin de semaine, sirotant des boissons glacées à l'ombre d'un parasol, et de l'autre côté, les masures de ceux qui travaillent pour eux et qui gagnent en un mois ce que ces nantis dépensent pour payer un seul de leurs repas. Ici, nous avons l'illustration parfaite de l'injustice. Les Birmans en sont conscients, mais ils attendent leur heure patiemment. Tout va changer un jour, ils le savent ou du moins ils l'espèrent secrètement. En attendant, ils font des courbettes et des sourires, ils sont prévenants et attentionnés envers des gens qu'au fond d'eux-mêmes ils détestent.

La plage est immense, toute blanche, l'eau est claire, si claire qu'on a l'impression que les barques sont posées au-dessus de la surface tellement leur coque est visible même sous la ligne de flottaison. Sur la plage, infinie, éclatante,on ne distingue que deux rochers coiffés de deux petits zédis ( ou stupas ), et une cavalière en maillot de bain dont le cheval trotte. L'esclave court à côté, la cravache à la main au cas où elle ne maîtriserait pas bien sa monture. Il est près de midi, le soleil est au zénith, et cette cavalière est bien courageuse de s'aventurer ainsi sur le sable brûlant en pleine chaleur ! L'esclave, lui, ce n'est pas pareil : « il est payé pour ça ! » Il y a des moments où je déteste certaines personnes !

Au retour, nous allons au temple qui domine le village de Chaung-Tha. Dans une salle commune, une trentaine de personnes s'adonnent à la méditation. Le silence est impressionnant, on n'entend que le léger tintement des clochettes de laiton fixées aux rebords du toit, et le chant furtif de quelque oiseau.

 

   

 

Le soir, à dix heures, j'ai fait une projection des photos de la journée : soirée diapos ! Pour le personnel de William G.H, c'était une fête. Ils avaient placé une nappe blanche sur le mur. Elle est tombée deux fois et cela a donné l'occasion de bien rigoler deux fois ( un rien les amuse ! ), et je me suis rendu compte qu'ils ne s'intéressaient aux photos que lorsqu'ils en étaient la vedette ou lorsqu'ils reconnaissaient quelqu'un. Les paysages les laissaient indifférents, et souvent, ils regardaient davantage le projecteur que l'écran. C'est un peu décevant... Cela m'a fait penser à un proverbe chinois qui dit fort justement : « Quand tu montres la lune, l'idiot regarde le doigt ».

 

         

 

Dimanche 8 janvier 2012.

Chaung Tha

Le chiffre huit porte malheur, alors aujourd'hui, toute la journée le calendrier est resté à page du 7 janvier. Les Birmans sont vraiment superstitieux. Demain cela ira mieux, car le 9 est un chiffre bénéfique.

Je vais sur la plage, comme tous les jours en fin d'après-midi... Ô surprise ! la mer a disparu ! Pour être plus exact, je dois dire qu'elle est partie si loin que la plage est devenue une immense esplanade sur laquelle les uns font du vélo, les autres jouent au foot... Aussitôt, je pense au pire : nous sommes le 8, jour maléfique ! Et si un tsunami se préparait ? J'observe les gens, ils ont l'air de trouver normal, les baigneurs batifolent dans l'eau en criaillant comme des mouettes... En cas... j'oriente ma promenade vers le nord de la plage, là où se trouve une petite colline au-dessus de l'hôtel Ace, permettant un abri en cas de danger. Franchement, je ne suis pas tranquille, et je regarde fréquemment vers le large, m'attendant à voir arriver la meurtrière barrière d'écume blanche. On a beau être le huit, rien ne se passe ; sûrement une grande marée. Bah, je ne suis pas superstitieux, car ça porte malheur.

 

Lundi 9 janvier 2012.

ChaungTha

 La Birmanie s'appelle désormais le Myanmar. Sa population est de près de cinquante millions d'habitants divisée en huit nationalités, pour une superficie de 676.579 km². Le pays compte 14 états ou divisions. On y parle 114 langues ou dialectes différents. Si « diviser pour mieux régner » est une devise bien connue, ici, la junte militaire au pouvoir n'a pas besoin de diviser, la division est toute faite. Ces différentes ethnies sont incapables de s'unir pour former une opposition efficace. Chacune mène son combat de son côté. Nous pourrions presque comparer cette situation à la Yougoslavie des années quatre-vingt. Alors, il va de soi que la démocratie telle que nous la concevons en Europe n'est pas adaptée au Myanmar. Il est évident que seul un gouvernement autoritaire peut « tenir le pays ». Les Birmans en sont conscients. Aussi, il ne faut pas se leurrer, Aung San Suu Kyi et les intellectuels occidentalisés ou la classe moyenne qui la soutiennent ne sont pas représentatifs de la population du pays. Nous, Européens, nous nous gargarisons du mot DÉMOCRATIE, mais dans des pays comme le Myanmar, cela n'a aucun sens. Ce n'est pas cela que demande le peuple ; ce qu'il veut, c'est moins de corruption et surtout que les sommes colossales des revenus du pays ne se dispersent pas au bon vouloir d'une poignée de généraux dirigeants qui se partagent « le gâteau » impunément. Et le gâteau est une grosse pièce montée : gemmes, gaz naturel, pétrole, le bois de teck, sans compter ce dont personne n'ose parler : les revenus de la vente d'opium et de dérivés. La compagnie française Total contribue effectivement à enrichir la junte militaire, et ses gestionnaires ont une éthique bien particulière : « rien vu, rien entendu... On ne sait pas ! » Dawei est proche du point de départ d'un gazoduc de Yadana, destiné à acheminer le gaz extrait du golfe de Mottama vers Ratchaburi en Thaïlande, sur une longueur de quatre cents kilomètres à travers la division de Tanintharyi et l'état Môn. Le gouvernement birman a déplacé des villages se trouvant sur le tracé ( cela est inévitable ) mais aucune compensation n'a été versée aux habitants. Ceux-ci ont déposé plainte contre les sociétés gestionnaires du gazoduc auprès d'un tribunal de Los Angeles en 1996 en soulignant le fait qu'elles ont eu recours au travail forcé ( souvenons-nous des infos accusant Total à l'époque ) et ont détruit des communautés villageoises pour mener à bien leur projet. Le pot de terre contre le pot de fer, on connaît, non ? En attendant, Total finance la junte à concurrence de 1,5 millions de dollars par jour.

Alors, la grande question : doit-on aller faire du tourisme dans un pays comme le Myanmar ? Personnellement je pense qu'en étant vigilant et en évitant les grands hôtels appartenant pratiquement tous à l'exécrable junte au pouvoir, on apporte des devises aux gens qui ne vivent que du tourisme. De plus, nous sommes des témoins, parfois gênants, mais nous contribuons à empêcher des abus encore plus gros. Je signale en passant que toute la région du gazoduc est interdite au tourisme... bizarre, non ?

Je ne terminerai pas sans évoquer la nouvelle capitale : Nay Pyi Taw. Il s'agit là de la plus grande aberration. En 2005, les militaires ont transporté la capitale dans une plaine aride au centre du pays, à dix heures de bus de Yangon. Rangoon, l'ancienne capitale se retrouve donc abandonnée, sa population condamnée à survivre dans une ville qu'elle n'a plus les moyens d'entretenir ou de garder en « état de fonctionner ». Aux hommes d'affaires étrangers, on montre ainsi l'image trompeuse d'un pays dont la capitale moderne aux avenues à six voies ne voient passer qu'un gros véhicule de luxe de temps en temps, aux hôtels somptueux, et aux immeubles déserts. C'est là que résident les généraux, dans des quartiers protégés et fermés, et le touriste n'est pas le bienvenu. Il est tout de même inimaginable de penser que dans un pays où tout est à faire sur le plan des infrastructures ( les trains vont à vingt kilomètres de moyenne, pas de routes en état, pas d'électricité, des hôpitaux si délabrés qu'on a peur de devoir y aller un jour... ) une poignée de personnes mégalomanes, détenant le pouvoir illégalement « se sont payés une ville » juste pour eux et pour quelques hommes d'affaires qui se laissent impressionner par le luxe de cette « superbe capitale ».

Mais alors, le Myanmar est l'enfer qu'a fréquemment décrit la presse occidentale, et on ne doit pas s'y sentir à son aise ?... Hé bien non, les Birmans ont l'air de s'adapter à tous leurs malheurs avec un optimisme déroutant. Il est faux de dire qu'ils n'ont aucune liberté : ils les ont toutes ! Ils peuvent parler librement ( sauf dans un journal, à la radio ou à la télé ), ils peuvent critiquer, et cette année, on vend des posters de Aung San Suu Kyi dans les rues. Par rapport à nous qui sommes rançonnés sur les routes par une police qui a besoin de « faire du chiffre », qui sommes à la merci d'un procès pour un oui pour un non, en diffamation, pour insulte raciale, pour homophobie, xénophobie, harcèlement sexuel, par rapport à l'ouvrier français qui vit en dessous du seuil de pauvreté ( dans notre beau pays de la démocratie ) je trouve le Birman heureux. Partout où l'on passe, il y a une insouciance qui fait parfois envie. Ils sont plus riches que nous, car leur richesse est intérieure. Ils ont gardé les valeurs qui nous font défaut, ils ne connaissent ni la solitude ni l'abandon dans leurs vieux jours. Bien sûr si, comme le croient les « Bidochons » bourgeois qui viennent ici en véhicule climatisé, le fait d'avoir une cuisine carrelée remplie d'appareils ménagers est un signe de richesse, alors ils sont pauvres ! Mais souvenons-nous de la fable de La Fontaine « le loup et le chien »...

 

LE LOUP ET LE CHIEN

Un Loup n'avait que les os et la peau  ;

Tant les Chiens faisaient bonne garde.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,

Gras, poli , qui s'était fourvoyé par mégarde.

L'attaquer, le mettre en quartiers,

Sire Loup l'eût fait volontiers.

Mais il fallait livrer bataille

Et le Mâtin était de taille

À se défendre hardiment.

Le Loup donc l'aborde humblement,

Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu'il admire.

Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,

D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.

Quittez les bois, vous ferez bien  :

Vos pareils y sont misérables,

Cancres, haires, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoi  ? Rien d'assuré, point de franche lippée.

Tout à la pointe de l'épée.

Suivez-moi  ; vous aurez un bien meilleur destin.

Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire  ?

Presque rien, dit le Chien  : donner la chasse aux gens

Portant bâtons, et mendiants ;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire  ;

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons :

Os de poulets, os de pigeons,

Sans parler de mainte caresse.

Le loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé  :

Qu'est-ce là  ? lui dit-il. Rien. Quoi  ? Rien ? Peu de chose.

Mais encor  ? Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

Attaché  ? dit le Loup  : vous ne courez donc pas

Où vous voulez  ? Pas toujours, mais qu'importe  ?

Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.

Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

La fontaine.

 

   

 

Mardi 10 et mercredi 11 janvier 2012.

Chuong Tha.

Tous les soirs, sur la plage, c'est un crépitement, une série d'explosions, un mitraillage de fusées multicolores ou de petits pétards ridicules. Le patron de l'hôtel m'a dit que hier soir entre dix-neuf et vingt-deux heures, « c'était pire qu'en Afghanistan ». Je croyais que ces pétards n'étaient qu'une façon de marquer le Nouvel An, mais non, c'est toute l'année. Cela devient un peu fatigant, parfois.

Je n'ai pas honte de le dire, je ne fais pas grand-chose de la journée. Je lis, je prends mon petit déjeuner au restaurant du William G.H, et je regarde le mouvement sur la route qui passe devant. De pauvres gars poussent leur charrette chargée de 240 litres d'eau, et ils font la navette entre la source et le village pour ravitailler les habitants en eau potable. Aller et retour, cela représente une distance supérieure à quatre kilomètres suivant les endroits qu'ils ravitaillent. Ils doivent acquitter un paiement de cent kyats par charrette et ils vendent le bidon de vingt litres cent kyats. Ils ont donc un revenu de mille cent kyats par voyage, ce qui correspond à 1,10 €. Les plus robustes arrivent à faire huit voyages entre 05h00 et 17h00. Je dois dire qu'en fin de journée, ils semblent marcher aussi vite. J'en ai suivi un pendant un moment, il marchait plus vite que moi qui ne poussais aucune charrette.

Je regarde passer les motos. Très peu de gens portent le casque, mais il faut dire qu'ils ne roulent pas très vite. J'ai vu une famille entière sur une moto : le père, ayant pris la petite de trois ans entre le guidon et lui, la mère avec un bébé dans les bras, et derrière, deux enfants de cinq à sept ans... Cela fait six personnes. À cause de leur sarong, les femmes sont souvent obligées de monter en amazone. Je ne sais pas comment elles arrivent à tenir ? Elles recroquevillent leurs doigts de pied dans leurs tongs pour ne pas les perdre, elles posent une main sur leurs genoux et parfois, elles portent un plateau ou un petit paquet sur leur tête. Ce sont des artistes !

Les cyclopousses transportent deux passagers assis dos à dos sur les sièges aménagés à côté du cyclo, et il y a souvent un troisième passager sur le porte-bagages. En revenant de la gare routière ou du marché, ces personnes ont des sacs ou des paquets sur leurs genoux... et même sur cette route plate le long de la plage, le cyclo a parfois un peu de mal. Alors, il se dresse sur les pédales, et il sue sang et eau, le regard fixe, les veines de ses maigres mollets saillantes. S'il faut gravir un petit dénivelé, ce ne sont pas les passagers qui descendent, c'est lui, pour pousser. La couse lui rapporte mille kyats, mais contrairement aux porteurs d'eau, il ne travaille pas régulièrement, alors ses revenus sont plus faibles.

De gros 4X4 ou des petits minibus climatisés passent en klaxonnant comme si ce petit monde sur la route les dérangeait vraiment.

 

   

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