Carnet de voyage
Thaïlande et Laos

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Carnet de voyage

 

Thaïlande

&

Sud Laos

2017 – 2018

 

Alain Menjot

 

Mardi 19 décembre 2017.

Pau – Bangkok.

Nous nous sommes levés à six heures pour les derniers préparatifs. C’est le moment que j’exècre, car j’ai toujours envie d’ouvrir et de vider le sac pour vérifier si je n’ai rien oublié. Amédée nous embarque dès sept heures, dans un coton blanc : il y a tellement de brouillard, surtout sur les crêtes des collines que nous décidons de changer d’itinéraire et de ne passer que par des grandes routes jusqu’à l’aéroport d’Uzein. Il fait froid, et des silhouettes furtives, noires dans les halos des réverbères se hâtent vers le hall d’embarquement. Nous déposons nos bagages, nous passons le contrôle de sécurité où nous devons montrer patte blanche puisqu’on nous fait même enlever nos chaussures. Nous attendons pendant deux heures. Il n’y a pas beaucoup d’ambiance, mais nous nous en moquons, car nous sommes contents de partir et bientôt, ça sera fini de voir ces cortèges de personnes moroses toutes vêtues de noir… Nous allons quitter le brouillard de l’hiver : nous avons rendez-vous avec les couleurs et le soleil ! Quand l’avion décolle, nous sommes dans des nuages si épais qu’on ne voit même plus le bout des ailes. Puis, soudain nous voici au-dessus d’une éclatante mer de nuages, avec un ciel turquoise par dessus, et pour barrer l’horizon, la chaîne des Pyrénées où l’on devine le bonnet d’âne du Pic du midi d’Ossau. C’est beau : nous sommes contents. Nous avions eu la bonne idée de réserver nos places sur le côté droit de l’appareil, ceux qui sont sur le côté gauche, soit ils s’en moquent parce qu’ils font le voyage trois fois par semaine, soit ils sont déjà contents avec la mer de nuages…

Ploum ! L’avion s’est posé un peu brutalement, mais nous sommes à Paris, dans un tel brouillard qu’on voit à peine plus loin que le bout de nos ailes. Il nous faut descendre sur la piste et rejoindre l’aérogare à pied. Heureusement que ce n’est pas loin, car je suis en manches courtes, et avec trois degrés de température, ça me fait un peu froid…

Il nous faut attendre cinq heures dans l’aéroport de Roissy. Je me promène dans le « terminal », et c’est déjà le début du voyage. J’ai trouvé un restaurant japonais où les clients sont assis à un bar en fer à cheval, devant un tapis roulant sur lequel des sushis défilent lentement. Il suffit d’attendre que son mets favori arrive à portée de main. Comme tout est appétissant, c’est un peu le supplice de Tantale ! Je suppose que le chiffre d’affaires est conséquent !

Nous décollons à 17 heures avec un Boeing 777 d’Air France, avec un léger retard. Il faut nous résigner à passer 12 heures assis sur des sièges un peu trop durs, serrés comme des canards en cours de gavage. Tiens, au fait, en parlant de gavage… on nous apporte le menu, et nous choisissons du poulet sauce  vin blanc et sa purée de pommes de terre. Mais d’abord, on nous propose du champagne en apéritif… Moi, je préfère du Ricard, juste pour me dépayser même si je n’en bois jamais en France. La nuit est longue, longue, et je n’arrive pas à dormir, et les réacteurs font un bruit de sirène, et je ne m’intéresse même pas à l’un des nombreux films proposés sur le petit écran juste devant mon nez. On arrive enfin à Bangkok, je n’avais dormi que trois heures la nuit précédente, cette nuit blanche finit de m’annihiler ! Mais c’est déjà le…

 

Mercredi 20 décembre 2017.

Bangkok.

Grâce à Amnoay, je ne passe pas par le comptoir des touristes, et ça va beaucoup plus vite. Le policier n’est pas très sympathique, et il épluche bien mon passeport comme s’il voulait se faire une joie en me refoulant… Bien qu’il ne reste qu’une page à mon passeport, il ne peut rien dire, et de plus, j’ai un visa pour un pays limitrophe. La Thaïlande a beaucoup évolué, et, de plus, ils croient qu’ils peuvent se passer de touristes. C’est une grosse erreur, mais les contacts avec la police ne sont plus aussi conviviaux !

Nous prenons le « sky train » jusqu’à Makassang, puis un taxi jusqu’à l’hôtel « Sukhumvit 6 ». Il est onze heures (à Bangkok) lorsque nous entrons dans l’hôtel, il y a 22 heures que nous avons quitté notre maison, c’est tout à fait correct.

L’après-midi, je musarde dans le quartier, et il fait un temps très agréable : environ 25 degrés. C'est bientôt Noël, alors, alors cette fête dont la plupart des gens ne connaissent pas la signification est un bon prétexte commercial. On trouve des paysages enneigés devant les centres commerciaux, et les Thaïs qui rêvent de froid et de paysages nordiques s'amusent comme des enfants...

 

Du jeudi 21 au samedi 23 décembre 2017.

Bangkok.

La ville de Bangkok, évidemment, est de plus en plus polluée, et les bouchons arriveront un jour à rendre les déplacements très difficiles. Les habitants l’ont bien compris : ils utilisent le métro, alors, pour monter dans un wagon, il faut parfois attendre un peu que les passagers se tassent un peu plus. Les Thaïs ont une faculté extraordinaire à s’agglutiner quelque part sans qu’il n’y ait aucun contact avec les voisins. De plus, si l’on est loin de la porte au moment de la sortie, il suffit de dire « kho tod » (pardon, s.v.p.) et la foule s’ouvre comme la mer Rouge s’ouvrit devant Moïse, et on peut sortir sans même frôler une seule personne. J’ai toujours comparé les Thaïs à des chats. Ils en ont la souplesse, la discrétion, le côté à la fois enjôleur et fourbe, la patience du félin qui guette sa proie. Le « farang » se laisse piéger par le sourire qui n’est pas forcément une expression d’amabilité, mais qui peut tout aussi bien cacher la désapprobation que la colère difficilement maîtrisée.

Certains centres commerciaux occupent la totalité d’un immeuble. L’air conditionné, le luxe chatoyant, l’ambiance feutrée, tout contraste avec le brouhaha de la rue.

Tous les soirs, nous sommes allés manger au « soi 1 » du poisson ou des calmars ou des langoustines.

 

Dimanche 24 décembre 2017.

Bangkok-Surin.

Ce soir nous prendrons le train de vingt heures trente vers Surin. Il nous faudra huit heures pour parcourir quatre cents kilomètres. Amnoay part explorer le quartier en allant chez la coiffeuse, au massage, faire quelques emplettes… Je reste dans la salle de restaurant de l’hôtel et je suis tout seul. Les touristes vont manger des pizzas ou des hamburgers alors qu’ici, on prépare des côtes de porc au poivre, succulentes et de véritables soupes thaïlandaises. Ça me désole quand je vois que les restaurants recevant principalement des étrangers s’appliquent à faire de bons plats américains alors que la cuisine locale est nettement supérieure. Vers cinq heures je pars faire un petit tour sur l’avenue Sukhumvit pour juger de la fluidité de la circulation et je suis un peu inquiet, car plus rien ne bouge. Les voitures n’avancent plus d’un centimètre : le trafic est totalement bloqué. Je décide donc de quitter l’hôtel un peu plus tôt, car si en temps normal il ne faut que quinze minutes pour rejoindre la gare de Hualamphong, on peut mettre beaucoup plus en cas de bouchons. Encore un des mystères de cette ville atypique : quand nous arrivons sur l’avenue, la circulation est presque fluide. Nous devons donc attendre près de trois heures dans le hall de la gare. Il y a un monde fou. Les passagers arrivent et repartent par vagues, et ceux qui prennent leur mal en patience, comme nous, se sont installés sur le sol carrelé. Ils préfèrent s’asseoir par terre, comme chez eux. Les Thaïs ne font pas un grand usage de tables ou de chaises : ils mangent par terre, ils regardent la télé assis ou couchés par terre, ils dorment par terre. Chaque personne qui passe devant vous s’incline, et elle devrait même ramper, car il n’est pas poli d’avoir la tête plus haute que celle d’un invité.

Nous avons pris des billets pour le train de luxe, un « rapide spécial » très récent dans lequel le confort est équivalent à celui de nos secondes classes couchettes. Le lit est large, pas trop dur, le bruit du train très atténué : c’est parfait !

 

Lundi 25 décembre 2017.

Surin.

Le train arrive à quatre heures comme prévu. Une vingtaine de passagers sortent sur le quai, silencieux, marchant lentement en traînant leurs grandes poches en plastique bleu et rouge ou leur sac de voyage. Même les racolages pour un taxi ou un touk-touk se font à mi-voix. Chulomphon, le fils d’Amnoay, est venu nous chercher et il nous amène « chez nous ». La maison est toujours là, mais la cuisine et la salle de bains sont dans un état de saleté un peu repoussant. Les Thaïs sont comme ça : ils vous empruntent la maison, mais ils ne nettoient rien, ils ne changent pas les ampoules grillées ou les éléments détériorés… Bah ! Je rouspète un peu, le fils d’Amnoay a compris, car il reste dehors et il repart sans « mot dire ». Il n’a même pas eu l’idée de prévoir une bouteille d’eau, et en plus Amnoay lui rembourse les frais de déplacement… Il aurait pu refuser ; mais non, les Thaïs sont comme ça !

Quand le jour se lève, je constate que le jardin est beaucoup plus fourni. Les serpents vont s’en donner à cœur joie !

L’après-midi, je vais au centre de Surin. C’est un peu comme à Pau, de nombreux commerces ont fermé à cause de trois supermarchés installés au sud de la ville. Seul le marché quotidien garde son animation.

 

Vendredi 29 décembre 2017 

Surin

Comme nous n’avons pas grand-chose d’autre à faire, nous regardons la télé le soir à partir de six heures, quand la nuit tombe. Pour être franc, je dois avouer que nous commençons à regarder les émissions à partir de six heures vingt, car nous laissons passer le discours du premier ministre et les reportages sur les bonnes actions du gouvernement en place (junte militaire). C’est une vingtaine de minutes imposées à toutes les chaînes en même temps.

Amnoay se vautre sur le canapé, je m’allonge sur la chaise longue, et nous laissons les portes du salon ouvertes pour récupérer un semblant d’air frais. Heureusement, il n’y a pas de moustiques en cette saison. Tous les soirs c’est le même programme (depuis plusieurs années d’ailleurs).

C’est d’abord l’émission qui fait chanter les pauvres gens. Ce soir, il s’agit d’une pauvre dame qui vient d’une région où la population est surtout agricole et la vie très dure. Elle est veuve et son fils s’est tué en moto (comme beaucoup de monde, dirais-je  malheureusement). On a pris soin d’habiller la pauvre dame avec des vêtements qui « font pauvre » : un pantalon trop large, une chemise des années 60 mal repassée, et les gros plans sur la peau abîmée de son visage nous forcent à constater qu’elle est vraiment pauvre. Alors elle chante. Oh bien entendu, elle chante faux comme un vieux sisso désaccordé. (le sisso, c’est ce crincrin dont l’archer est coincé entre les deux cordes, et dont le son est aussi harmonieux que le grincement d’une porte). Cela n’a aucune importance : ce sont les paroles qui captivent l’auditoire. Il doit y avoir hors champ de la caméra, un panneau « pleurez », car d’un commun accord, tout le public du studio se met à pleurer. La pauvre chanteuse elle-même ne retient plus ses larmes, et cela nuit un peu plus à la qualité de son chant ! Il y a trois personnes dans le jury, dont une belle dame avec une belle robe rouge qui pleure aussi en faisant attention que son rimmel ne fonde pas, car il faut encore tenir le coup avec le candidat suivant ! Mais le candidat suivant est très malheureux lui aussi. Il est habillé avec de vieilles nippes prêtées par les voisins juste le temps « d’aller à la télé », car sa maison a brûlé et il n’a pu sauver ni sa femme ni sa fille. Il lui reste un garçonnet d’une dizaine d’années qui retient ses pleurs dans le public. Attention, il pourrait être plus malheureux que la dame précédente, et lui rafler le butin ! Quel suspens ! C’est Zola vu par Hitchcock ! Ce pauvre monsieur raconte son calvaire dans une mélopée lente et tellement lugubre que l’auditoire dégouline, se mouche, hoquette… Mais l’arbitresse (il faut dire comme ça maintenant !) vêtue de rouge ne pleure pas. C’est donc la première malheureuse candidate qui a la chance de remporter le prix : 250 € non imposable ! Maintenant, c’est de bonheur qu’elle pleure ! Quant au monsieur, il fait bonne figure, on lui laissera peut-être décrocher un extincteur dans les coulisses et le ramener chez lui !

On a fini de pleurer, alors, comme chaque soir, on a droit, pendant une demi-heure aux comptes-rendus des visites officielles. La fille du Roi défunt, c'est-à-dire la sœur du monarque actuel est en visite tous les jours dans tous les coins du pays ! Elle arbore aujourd’hui un superbe ensemble de soie bleue comme le ciel qui lui va à merveille. On sent que c’est une personne équilibrée (et je ne fais aucune allusion au centre de gravité, laissons la physique aux physiciens !) Elle est bien coiffée. Elle est très douée, car elle prend toujours des notes sur un petit cahier d’écolier sans regarder ce qu’elle écrit. Elle a souvent un petit appareil photo tout simple acheté dans un supermarché, et elle prend même des clichés ! Moi, je la regarde tous les soirs et je l’aime bien. D’ailleurs si je ne l’aimais pas, je ne dirais rien, car le crime de lèse-majesté est puni par la loi, et la peine est souvent supérieure à cinq ans de détention. C’est pour ça que je dis qu’elle est bien coiffée et bien habillée !

Maintenant que la princesse est partie, voilà l’heure du jeu !

Alors là, il y a de l’ambiance ! Pour jouer à ce jeu, il faut : des candidats un peu nunuches, un travesti excentrique (ça se nomme kathoy ici) un animateur qui pète le feu, un public prêt à hurler ou à rire pour un oui pour un non ! Alors, allons-y !

On met le candidat ou la candidate dans une sorte d’auto de foire qui monte au fur et à mesure des bonnes réponses. Les questions sont très difficiles, c’est du genre : « de quelle couleur était l’éléphant blanc qui vint annoncer à la maman de Bouddha que son fils serait un grand voyageur ? » Ou alors : « Guatemala est la capitale de quel pays ? » Ou alors « citez un pays qui a une frontière commune avec le Laos ? »

L’animateur, lui, c’est un excité qui disparaît dans une rafale d’éclairs à chaque fois qu’il hurle pour poser une question.

Et bien entendu, il faut le kathoy, car sans lui de quoi rirait-on ?

Aujourd’hui, c’est un kathoy rigolo avec un décolleté très sage, qui se roule presque par terre.

Alors quand une candidate arrache la perruque de ce pauvre kathoy qui se retrouve le crâne tondu sous les éclats de rire du public, le travesti reste de marbre, pensant au plus profond de lui-même : « Moi, les lazzi, les quolibets me laissent froid puisque je suis un « homo » comme ils disent »

Mais je reviens à la candidate. Elle est très forte : un puits de science ! Alors que je n’ai jamais vu un candidat monter plus haut que 4 ou 5, voilà qu’elle est à neuf points, là-bas, tout en haut ! Et la dernière question arrive dans un éblouissement d’éclairs et de foudre : « Dans quel pays se trouve le Machu Picchu ? » Si elle répond, elle gagne la voiture, une superbe Toyota avec toutes les options (rien à voir avec les 250 € de la pauvre candidate de la « chance aux chansons » !) Notre candidate essaye de répéter sans trop l’escagasser le mot barbare « matchou picsou », mais elle n’a même jamais entendu parler de ça ! Une chance folle : elle répond par déduction, sachant que Mickey, Donald et Picsou sont américains : « l’Amérique ! » Quand on lui demande de préciser, elle ne peut pas, elle ne savait pas qu’en Amérique il y avait plusieurs pays !

Perdu ! Bah ! Ça ne fait rien ce soir après avoir bien pleuré, on s’est bien amusé !

C’est tout de même chouette la télé thaïlandaise et ses émissions culturelles. Quand je pense que chez nous dans notre belle France les pauvres gens regardent Hannouna, ils ne savent pas de quoi ils se privent !

 

Jeudi 4 janvier 2018.

Surin – Warin (Ubon).

Aujourd’hui, c’est le départ vers le Laos. Je vais à la gare de Lamchi à vélo, car je vais le mettre dans le train. La petite gare est encore cernée de rizières, mais ça ne durera pas, car la ville de Surin s’étend de plus en plus dans toutes les directions. Le bâtiment est d’un beau jaune pissenlit, décoré d’une façon délicieusement naïve avec des petites figurines autour d’une fausse cascade… Les voies sont traversées tous les jours par les élèves de l’école mitoyenne et on ne déplore aucun accident à ce jour. Ici, les enfants ont un instinct de conservation très développé !

Dans les trains, il y a une partie réservée aux bonzes. Ils sont là, une demi-douzaine, vautrés sur les sièges dans leur robe orange et ils me regardent m’installer avec des yeux en phares d’auto. Avec ma tenue « FDJ Française des jeux », ils se demandent à quelle confrérie j’appartiens ! Il y a du monde, mais il reste des places libres. Il fait chaud, personne ne me parle et c’est mieux ainsi car je n’ai pas envie de bavarder : je somnole ! À Warin, je vais toujours au même hôtel « Srikoulap » et j’ai encore une fois la même chambre avec un petit sas pour garer mon VTT, et je paye 200 bahts (5 €) !

 

Vendredi 5 janvier 2018.

Warin (Ubon) – Phiboon 44 km.

Je ne pars qu’à neuf heures, car j’ai attendu que le soleil soit assez haut, de façon à ne pas l’avoir en plein dans les yeux vu que je vais vers l’est. La circulation est peu importante sur une bonne route à quatre voies, et je remarque que les usagers sortant des parkings ou des petites routes sur ma gauche attendent que je sois passé et ne me coupent plus la route comme il y a quelques années. On les a sensibilisés au respect des cyclistes, et le voyage devient plus vivable. Vers dix heures et demie, le soleil tape dur et quand j’arrive à l’hôtel « Phiboonkit », j’ai tellement chaud que la patronne me laisse rejoindre ma chambre pour me rafraîchir avant de m’enregistrer. J’étais sur le point de « passer l’arme à gauche ». Je me repose une demi-heure, je fais ma lessive et je vais manger une délicieuse soupe de nouilles. Je passe devant une pâtisserie où les gâteaux sont si artistiquement décorés que c’est un crime de les manger. Si j’en achetais un, je le mettrais dans ma vitrine ! On y voit des petits personnages, gentils lutins de sucre assis en rond, en plein conciliabule, de doux petits animaux fraterniser avec de sympathiques gnomes rondelets ! Ah si le monde pouvait être en sucre !

 

Samedi 6 janvier 2018.

Phiboon  - Chon Mék 46 km.

Je pars à la fraîche, à sept heures sur une route un peu monotone comme la plupart des routes du pays, d’autant plus que je suis déjà passé ici plusieurs fois. Il n’y a que les abords du lac Sirindhorn qui présentent quelque intérêt. Pendant quelques kilomètres, je me crois au bord de la mer ! Je constate, à voir quelques équipements rudimentaires, sortes d’araignées d’eau sur le lac, qu’on commence à pêcher. Les derniers kilomètres sont un véritable toboggan : ça monte et ça descend, et ce n’est pas plus mal, ça rompt un peu la monotonie du trajet ! Quand j’arrive à la frontière, je vais toujours au même petit hôtel, et pour 200 bahts, j’ai une chambre bien spacieuse propre avec de l’eau fraîche pour la douche, et un ventilateur indispensable, car il fait 29° dans la chambre !

 

Dimanche 7 janvier 2018.

Chon Mék – Paksé 46 km.

Ce matin, je me lève avant le soleil, car je veux passer la frontière pendant que c’est encore calme, alors que les cars ne sont pas encore là. Le douanier laotien en voyant mon passeport, s’exclame pour faire rire les gens en pensant que je ne vais pas comprendre : « Celui-ci, vu le nombre de visas, il doit avoir une maîtresse (mia noy) au Laos ! » Mais c’est moi qui fais rire tout le monde en lui répondant : « Non, je suis tout seul et tout triste ! »

La route est bonne jusqu’à Paksé, avec quelques animaux flegmatiques qui traversent : chiens, vaches, cochons, poulets, canards. C’est dimanche matin, la plupart des gens ne travaillent pas, alors on fait du nettoyage, et on brûle les poubelles devant sa porte, au bord de la route. Je suffoque dans une odeur d’herbe et de plastique brûlé, et par moments, j’ai du mal à retrouver ma respiration, car c’est ainsi à chaque maison pendant plus de vingt kilomètres. Il va peut-être falloir un jour que tous les pays riches qui produisent sans se soucier de ce que deviennent les déchets dans les pays pauvres s’unissent pour les aider à recycler et à incinérer. L’ensemble de tous les pays du Sud-est asiatique pollue bien plus que toutes les centrales au charbon des USA !

Je me rends directement à l’hôtel « Nang Noy » où j’ai réservé une chambre dans laquelle je passe tout l’après-midi tant il fait chaud et humide dehors ! Paksé se réveille un peu plus chaque année : la ville devient agitée, bruyante, on arrange les berges du Mékong pour les rendre aussi agréables qu’à Vientiane…

 

Lundi 08 janvier 2018.

Paksé  

Aujourd’hui, c’est comme au Tour de France : Jour de Repos ! Et pour me reposer, je suis très fort ! Je mets donc toute mon énergie à me vautrer sur mon lit, sous le ventilateur qui brasse l’air tout doucement, dans une chambre très agréable. L’après-midi, j’ai décidé de laver mon vélo et de nettoyer la chaîne et les dérailleurs. Alors, je vais au marché pour acheter une petite brosse comme une brosse à ongles : introuvable ! Je me contente d’une brosse un peu plus grande. C’est comme ça ici, on ne trouve pas souvent ce qu’on veut, mais il y a toujours quelque chose qui y ressemble !

 

Mardi 09 janvier 2018.

Paksé – Chong Mek. 47 km.

Je pensais partir avec le lever du jour, puis je ne quitte « Nang Noy G-H » qu’à huit heures, après avoir pris le temps de prendre deux œufs sur le plat avec du pain bien frais. La route, c’est la même qu’à l’aller, mais dans l’autre sens, avec la fumée des poubelles en moins et un peu de chaleur en plus ! Il y a des camions thaïs tractant des remorques qui vont très vite, des camions laotiens poussifs, transportant de la terre, qui ont presque du mal à me doubler, et toute une flopée de petits tracteurs, sortes de motoculteurs attelés à une remorque qui vont moins vite que moi. Les petites vaches aux têtes de biches, traînant leur licou, broutent une herbe toute desséchée sur le bord, et elles traversent sans coup férir quand l’envie leur en prend. On y est habitué, c’est la tradition. Il est dix heures trente quand j’approche de la frontière, le soleil est presque à la verticale la route monte en faux plat, et je n’ai pas d’air pour me rafraîchir. Je dois avoir le thermostat un peu détraqué, car j’ai la sensation d’être carrément rôti. Quand j’arrive au poste frontière laotien, je commence par m’asseoir dans un coin à l’ombre et je vide mon bidon. Soudain, que vois-je par une porte qui vient de s’ouvrir ? Un réfrigérateur avec plein de boissons fraîches derrière la vitre : des jus d’orange, du Coca, de la limonade… et surtout des bouteilles d’eau avec de la buée dessus ! Je demande à une douanière (on dit com’ça maintenant !) si je peux acheter une bouteille d’eau, elle me répond sans même me regarder « bomi » ; ça veut dire il n’y en a pas ! Elle ne fait pas ça par méchanceté, elle ne m’a simplement pas regardé, car si m’avait vu, avec ma tronche de langouste bouillie, elle aurait certainement eu pitié. Bah ! peu importe : je donne mon passeport on le tamponne, on me le rend aussitôt et je reprends mon vélo jusqu’à la frontière thaïlandaise à une centaine de mètres. Le douanier me demande d’où je viens, où je vais ; à première vue, il aime bien les cyclistes. Quand j’arrive à l’hôtel, je me jette sous la douche froide, et en cinq minutes, je retrouve ma vitalité et même, me semble-t-il, mon intelligence.

 

Mercredi 10 janvier 2018.

Chong Mek - Phiboon. 47 km.

Toute la nuit, un idiot de coq a braillé, me réveillant à deux heures, et je n’ai pas pu me rendormir ! Quand je somnolais, je rêvais de coq au vin, car j’aurais bien vu le stupide animal dans un plat, bien rôti ! On voit parfois des gens se scandaliser parce qu’un villageois porte plainte contre son voisin à cause du coq. Bien sûr, ça paraît surprenant, surtout pour un citadin qui n’a du coq que l’image de ses livres d’enfance : le bel animal au poitrail flamboyant, juché sur un tas de fumier, et poussant son cri mélodieux vers un énorme soleil levant… Ce ne sont que légendes enfantines ! Le coq, s’il est en liberté dans le jardin, il est capable de brailler toute la nuit, en Thaïlande comme en France. Je dis bien brailler, car je ne sais quel hurluberlu a décidé un jour, que le coq chantait ? Le cri du coq n’a rien à voir avec l’irrinzina basque ou le you-you marocain, bien plus mélodieux qui ne sont pourtant pas classés parmi les chants du monde.

Je n’ai pas beaucoup dormi, mais je pars tout de même à sept heures, avec un petit air frais et un ciel sans nuage. Je grimpe les petites côtes sans transpirer, c’est comme chez nous par un beau matin de juillet. De plus, je suis presque seul sur une route à voies séparées. J’arrive à Phiboon avant la chaleur, à dix heures.

L’après-midi, après une sieste réparatrice qui atténue un peu mes rancœurs contre le stupide gallinacé, je flâne un peu dans la rue. Je ne trouve pas grand-chose d’intéressant. Les rues des villes thaïes sont toutes aussi moches. Elles sont bordées de blocs hétéroclites, à deux niveaux, et le premier étage semble toujours inhabité. Je n’ai jamais vu personne ni au balcon, ni à la fenêtre. Il est vrai que lorsque les magasins ferment, pas tous à la même heure, les habitants se réunissent dans la boutique même, mettent un tapis sur le sol, y déposent les différents mets du repas du soir, et les voilà tous en rond, accroupis ou assis tailleur en train de dîner ! Dans la journée, les marchandises sont exposées sur le trottoir, et il n’y a pas d’autre solution, pour le piéton, que de marcher dans la rue ! Je m’amuse un peu quand vient l’heure de la sortie des classes ; les élèves s’entassent dans des camionnettes, voyagent debout sur le marchepied arrière, la maman met ses deux, parfois ses trois rejetons sur la moto et tout ce beau monde défile sous le nez d’un agent de police qui ne penserait même pas à demander aux motocyclistes de porter un casque. D’ailleurs, à propos du casque, il y a une obligation de le porter uniquement pour le pilote. Le passager peut ne pas en mettre.

 

Jeudi 11 janvier 2018.

Phiboon - Warin. 46 km.

Vague de froid durant la nuit et vent glacial ce matin : il ne fait que 14°, et tout le monde est frigorifié. Je ne sais pas pourquoi, mais moi aussi. J’attends donc que la température soit plus clémente, vingt-deux degrés environ. C’est pour ça que je ne pars qu’à neuf heures et demie. Le soleil est sorti, un petit vent complice me pousse dans le dos, et j’entends mes pneus chanter sur l’asphalte. Je ne mets que deux heures pour rallier Warin, et j’arrive en pleine forme. Je m’installe à l’hôtel Srikoulap car demain je dois aller à Surin, et le train ayant un wagon de marchandises pour mon vélo ne part que demain à sept heures. Je vais manger mon plat préféré : du canard rôti, et je musarde dans le quartier de l’hôtel, près de la gare, dans la gare et même dans les trains. Ici, rien n’est interdit, et c’est à chacun de juger si ce que l’on fait est gênant pour les autres. Les seules choses inacceptables sont de critiquer la Famille Royale (remarquez que j’ai mis une majuscule !), de manquer de respect au Bouddha et de désobéir aux autorités. La liberté d’expression, le droit à l’information, les Thaïs n’y attachent pas grande importance ; ce qui les intéresse, c’est tout à fait matériel il faut qu’on leur permette de gagner de l’argent. D’ailleurs, pour les vœux, nous qui sommes des idéalistes, nous disons « Bonne Année, et surtout bonne santé ». Eux ils souhaitent la bonne année en espérant « avoir beaucoup d’argent ». Quand ils boivent l’apéro, ils ne disent pas « santé », comme nous, ils disent « chok dee », ce qui signifie « bonne chance », et au fond d’eux-mêmes, ils pensent : « bonne chance à la loterie ». Quand vous faites un cadeau, il serait malvenu de cacher le prix et ce qui est gênant, c’est que si l’étiquette n’y est pas, ils peuvent très bien vous demander combien vous l’avez payé. Ce matérialisme va tout à fait à l’encontre de la morale bouddhiste, et pourtant on trouve même des temples comme le Wat Sothon (à Chachoensao) où le Bouddha est réputé pour aider à gagner au jeu. Alors, on vend des billets de loterie dans le temple ! Ce sont toutes ces ambiguïtés et ces paradoxes qui rendent parfois les gens difficiles à comprendre. Je reviendrai, plus tard en détail sur le réputé « sourire thaï » que nous prenons pour un sourire, mais qui n’en est pas vraiment un en réalité.

 

Dimanche 14 janvier 2018.

Surin – Bangkok.

Je suis obligé de me rendre à Bangkok pour donner une photo, mes empreintes et un justificatif de domicile de façon à pouvoir régénérer mon passeport plein comme un œuf. Je prends donc le train de nuit, un train couchette très confortable. En attendant, je vais au marché de nuit avec Amnoay. J’aime beaucoup, c’est un peu comme une fête où tout le monde parle étrangement à mi-voix ; c’est plus beau que le marché de Noël, et ça fleure bon les bons petits plats : le curry, la friture d’ail et d’oignon, la coriandre et la grillade de poulet. Dans le secteur des friandises et des petites pâtisseries, un léger arôme de noix de coco se mêle aux délicates senteurs de cannelle et de banane frite. Il y a quelques années, on ne trouvait que quelques rares sortes de petits gâteaux, de flancs aux œufs ou à l’eau et des petits beignets insipides si l’on ne les trempait pas dans le thé au lait ! Ce soir, j’ai devant moi de quoi me donner envie à chaque pas ! Quand une société commence à alimenter ses marchés avec des douceurs et des jouets pour les enfants, c’est qu’elle va bien et que les gens commencent à acheter au-delà du strict nécessaire. J’ai connu des pays comme l’Afghanistan, le Cambodge et le Laos où les enfants fabriquaient eux-mêmes leurs jouets et où les petits desserts n’étaient même pas imaginables !

Bien qu’elle reste à Surin, Amnoay vient m’accompagner à la gare, car c’est très vilain de laisser partir quelqu’un sans lui dire au revoir !

 

Lundi 15 janvier 2018.

Bangkok.

Le train arrive à cinq heures trente au lieu de cinq heures quinze. Aucune importance, même s’il avait une heure de retard, personne ne dirait rien ! On prend le train pour arriver quelque part ; ensuite, la ponctualité, c’est un luxe ou un hasard sur lequel on ne compte pas. Si les Thaïs voyaient les Français pester pour cinq minutes de retard, ils seraient abasourdis ! Ils ne comprendraient pas, eux dont la devise est : « may pen ray, cha yen yen » (ça ne fait rien, restons calmes).

Le hall de la gare Hualamphon est presque désert, et il semble encore plus vaste. Le métro ne fonctionne pas encore, alors « cha yen yen », je musarde, je déambule entre les quais déserts et le hall où j’aimerais bien faire du patin à roulettes ! Dès que le métro démarre, je vais sur les rives du fleuve Chao Phraya pour voir passer les bateaux. Il est sept heures et un petit air frais me donne toute la vigueur nécessaire pour affronter une journée dans le mælstrom de Bangkok. De longues barques effilées longent la rive de ponton en ponton, embarquant les passagers dans un vacarme de moteur rugissant et de coups de sifflet du préposé à la manœuvre. D’autres barcasses ventrues, couvertes d’un toit semblable à ceux des pagodes roulent et tanguent dans le sillage de quelques sampans poussifs. Quelques vagues viennent se briser contre les piliers du ponton, et je suis étonné qu’une eau si sale dont la couleur glauque jaunâtre ne donne pas envie de faire trempette, puisse produire des gerbes d’écume si blanches.

J’ai rendez-vous à dix heures à l’ambassade, et j’arrive à huit heures. Il y a déjà une file de personnes s’étirant jusque dans la rue. Je ne sais pas pourquoi, mais je fuis dans les ruelles du quartier plutôt que de me mêler à ces gens, presque tous Français. Ma réaction m’effraye soudain : c’est sûr ! Je suis devenu raciste ! Quand je reviens une heure plus tard, il n’y a plus personne, on me laisse entrer après avoir vérifié mon sac et mes poches, par sécurité. Je suis reçu aussitôt par un employé qui ne sait pas comment lire « Coslédaà-Lube-Boast », et il ose même me demander si c’est en France ! Moi qui pensais que mon village était le centre du monde, me voilà bien humilié !

 

Mardi 16 janvier 2018.

Bangkok – Khorat.

En milieu de matinée, vais dans une petite gare du nord de la capitale, à Bang Sue. J’attends, car le train qui vient de quitter la gare principale de Bangkok a déjà presque une demi-heure de retard… « cha yen yen ! » Presque cinq heures de trajet jusqu’à Khorat où je m’arrête, juste pour ne pas passer huit heures secoué dans un wagon où la poussière et la chaleur rendent parfois le voyage pénible. Le train est très lent en Thaïlande. Il faut miser sur du cinquante kilomètres par heure. J’ai pris un « rapide », ce qui correspond au train le plus lent, car il s’arrête dans presque toutes les gares, environ tous les six ou huit kilomètres. J’aime bien, car cela permet aux petits (e – s) marchand (e – s) [ on écrit com’ça maintenant ! ] de monter pour proposer du poulet grillé, des noix de coco, des boissons fraîches… Elles – ils descendront à la gare suivante, remplacé (e – s) par d’autres petits (e – s) marchand (e – s) ! Dans chaque gare, un employé en tenue beige agite un drapeau rouge tant que le convoi reste arrêté, puis il agite son drapeau vert au moment du départ en soufflant dans un sifflet. Il se tient raide comme un sentineau ! [ Depuis que les coureuses cyclistes sont des grimpeuses, les sentinelles veulent être des sentineaux ! C’est com’ça maintenant ! ]

À Khorat, je vais à l’hôtel « Far Thay » qui ressemble à la prison de la Santé, et je rôde autour du monument de la Jeanne d’Arc locale Thao Suranari. Elle réussit à repousser les Laotiens un peu trop envahissants sous le règne de Rama III (1824 – 1851). On raconte que pour vaincre ses ennemis bien supérieurs en nombre, elle leur fit cadeau de plusieurs tonneaux d’eau-de-vie de riz. Les soldats ne manquèrent pas de s’enivrer et c’est alors qu’elle put prendre le dessus sur une armée titubant dans les effluves capiteux de l’alcool. Aujourd’hui, les fidèles la connaissent sous le nom de « Ya Mo », Ya signifiant « grand-mère ». C’est donc la mémé bienfaisante qui porte bonheur, un peu comme Olive pour Popeye. On lui offre des corbeilles de fruits, des colliers de fleurs, des fagots de bâtonnets d’encens, et on croit en son pouvoir, alors on achète partout dans le quartier des billets de loterie. On achète des poissons où des anguilles qu’on relâche dans le bassin juste à côté, on peut aussi payer un groupe de quatre chanteurs et danseurs pour qu’ils interprètent des mélopées improvisées suivant les désirs du demandeur. Les diseurs de bonne aventure ont également beaucoup de succès dans le secteur ! Thao Suranari dut son succès à l’eau de vie, maintenant elle fait la fortune des devins…

 

Mercredi 17 janvier 2018.

Khorat - Surin.

En prenant le car, ce matin, je devrais gagner du temps par rapport au train ! Mauvais calcul : je me rends à la gare routière et je monte dans un car qui va « faire le laitier » tout le long du trajet jusqu’à Surin. Il va jusqu’à sillonner les rues des plus gros villages à la recherche d’éventuels clients, il s’arrête dès que quelqu’un veut descendre, déposant les passagers devant leur porte, ce qui fait que parfois, alors qu’il vient de redémarrer, une autre personne demande un arrêt… C’est exaspérant : il me faut cinq heures pour faire les cent cinquante-cinq kilomètres « cha yen yen » ! Je ne le prends pas trop mal, car en vélo j’irais à peine un peu moins vite, mais j’aurais beaucoup plus chaud !

 

Dimanche 28 janvier 2018.

Surin - Khorat.

Et me voilà reparti pour quatre cents kilomètres en train : je vais à Bangkok pour chercher mon nouveau passeport. Pour couper le voyage, je décide, comme je le fais souvent, de m’arrêter à Khorat. Cela me permet de rester une nuit à l’hôtel Farthay (280 bahts) dans un établissement qui ressemble étrangement à la prison de la Santé. Je ne sais pas pourquoi je m’arrête dans cette ville, certainement par habitude, et pourtant tous les endroits que j’aimais bien ont disparu. C’est souvent comme ça ici ! Le restaurant où un musicien chantait des refrains à la mode ou des chansons « classiques » a fait place à un parking couvert, le petit marché de nuit n’attire plus grand monde, et le bon restaurant près de l’hôtel est devenu une cafétéria-pâtisserie de style américain qui n’a guère de succès. Seule, la statue de « Ya Mo » voit une foule toujours aussi fidèle venir déposer des fleurs ou des bâtonnets d’encens. Devant le monument, une voiture de police, gyrophares rouges allumés attire mon attention. Peut-être qu’un fidèle est tombé en pâmoison ou a glissé sur les marches, ou bien quelques acharnés se sont disputés les faveurs de « Ya Mo »… Je m’approche. Effectivement, deux policiers sont là, parmi les gens qui ne prêtent aucune attention à eux, et ils photographient le monument ! L’un d’entre eux vient vers moi et me demande courtoisement dans un anglais scolaire, de quel pays je viens. Je fais semblant de ne pas comprendre et je lui réponds en thaï que je viens de Surin. Et nous voilà, certainement grâce à l’influence de « Ya Mo », devenus les meilleurs amis du monde. Son collègue nous photographie, puis il vient lui aussi causer avec moi pour que son ami nous prenne en photo… et les gyrophares continuent à lancer des éclairs rouges. Voilà que je suis devenu l’ami de deux jeunes policiers qui font du tourisme pendant leur service. Nous abordons le sujet de la sécurité routière, et je leur dis que les routes me semblent un peu plus calmes et sûres. Ils me disent que les contrôles de vitesse sont plus fréquents, et ils reconnaissent que ce ne sont pas ceux qui roulent à 90 ou 100 au lieu des 80 km/h réglementaires qui provoquent des accidents, mais ceux qui vont beaucoup plus vite et qui roulent en état d’ivresse. Ils me disent que la plupart des conducteurs consomment de l’alcool avant de prendre le volant dès le matin. Pendant que nous parlons tout gentiment, presque tous les motocyclistes qui passent dans la rue devant nous sont tête nue. Je ne le leur fais pas remarquer, ça pourrait gâcher notre amitié !

 

Lundi 29 janvier 2018.

Khorat - Bangkok.

Je prends le train vers Bangkok. Les marchandes de plats de toutes sortes défilent en vantant leur marchandise. On peut manger du riz avec des légumes agrémentés d’un superbe œuf frit, des saucisses « hot dogs », des mangues vertes, des insectes frits, des « sala pao », sorte de hamburger local fourré de viande hachée sucrée… Je jette mon dévolu sur une cuisse de poulet grillée au barbecue. C’est un régal ! Ce défilé de marchandes et de marchands me fait passer le temps, car de temps en temps ils descendent et sont remplacés par d’autres personnes ne vendant pas la même chose. Comme le train s’arrête à toutes les gares, c’est-à-dire tous les sept ou huit kilomètres environ, ça fait du mouvement ! Avant d’arriver à Bangkok, nous longeons la future ligne « grande vitesse » en construction. Une grosse entreprise thaïlandaise travaille avec une entreprise chinoise. La ligne doit relier Bangkok à la Chine en passant par Korat, Vientiane et peut-être Kunming. Les Chinois jouent certainement les généreux, mais ce sont eux qui vont en tirer tous les bénéfices, car ils auront ainsi à la fois un accès rapide vers la Mer de Chine et vers l’Océan Indien ! Après le projet d’oléoduc qui entraîne le génocide des Rohingas au Myanmar, les Chinois auront ainsi une sérieuse main mise sur l’Asie du Sud-est !

Je descends du train à Bang Sue, car pour parcourir trois ou quatre kilomètres le train met une demi-heure. Je prends le métro qui me fait gagner du temps. Dans le métro, je suis pratiquement le seul à ne pas tapoter sur un « smart phone ». Les gens sont devenus complètement dépendants de leur petit écran. Je ne sais pas ce qu’ils regardent, ils font défiler des listes, des images, des publicités... Ils n'arrêtent même pas au moment de descendre du train ou de monter dans les escaliers roulants. Je finis par les plaindre ! Dans les rues, ils traversent en pianotant, ils montent à l’arrière des motos en fixant leur petit écran… Je suppose qu’ils conduisent les voitures en surfant sur le web ! La vie est pourrie par ces petits appareils et je me suis souvent trouvé devant des commerçants qui me répondaient évasivement avec leur smart phone sous les yeux. Il me semble que les filles sont plus attirées et plus accros que les garçons.

 

Mardi 30 janvier 2018.

Bangkok.

Je me rends à l’Ambassade (Rue de Brest) dès le matin pour récupérer mon passeport. Le préposé me signale que je dois aller à l’immigration pour mettre un tampon dans le nouveau passeport, et il m’avertit que ça me prendra au mieux une demi-journée. Je n’en crois rien. Je vais à l’aéroport par le « sky train » (0,75 €) et la police touristique confirme mes doutes : je présenterai mes deux passeports au moment de quitter le pays… c’est tout ! Il y a des fois où je me demande si les gens travaillant dans les ambassades sont là pour nous aider ?

 

Mercredi 31 janvier 2018.

Bangkok - Ayutthaya.

Je voudrais bien quitter l’hôtel ce matin après le petit déjeuner, mais je suis forcé de rester à l’abri dans ma chambre, car il pleut sans discontinuer. Une grosse averse qui, dès qu’elle se calme, repart de plus belle pendant toute la matinée, de sept à onze heures. Normalement, il ne pleut jamais à cette période, mais le mois dernier, la ville a même été inondée. Le climat change et personne n’y comprend rien !

A Ayutthaya, je vais flâner dans le marché couvert « Huaro », et c’est un peu triste, car les acheteurs y viennent surtout le matin. Le soir, je vais sur la place, au bord du fleuve pour manger un énorme poisson en regardant une superbe éclipse de lune. Les Thaïs, eux, ils ne lèvent même pas la tête pour admirer la lune toute rouge avec des reflets orange. Si on leur avait dit que de regarder la lune ça leur permettait de gagner à la loterie, ils auraient trouvé beaucoup d’intérêt à lever les yeux au ciel !

 

Jeudi 01 février 2018.

Ayutthaya - Surin.

Je prends le train rapide, climatisé, pour cinq fois le prix du train ordinaire, mais je n’ai plus envie de m’arrêter à toutes les gares pendant plus de quatre cents kilomètres ! Pendant le voyage, on a droit à un gâteau et du café comme petit déjeuner, et à du poulet au curry pour le déjeuner. Nous sommes servis par une hôtesse comme dans l’avion !

 

Du 04 au 07 février 2018.

De Surin à Paksé

Comme toujours, je fais les 200 km entre Surin et Ubon en train, puis les 120 km entre Warin et Paksé tout tranquillement en VTT, en trois jours pour ne pas à avoir à rouler l’après-midi.

 

Jeudi 08 février 2018.

Paksé – Champassak. 36 km.

Je ne suis vraiment pas motivé pour sortir de l’hôtel ce matin. Pourtant, la température est idéale et le soleil brille. Je ne peux tout de même pas passer trois jours vautré sur mon lit à Paksé… Alors, je décide de partir à Champassak. La route serait tranquille, avec peu de circulation, mais je suis tout de même sur mes gardes, car les Laotiens se sont mis à conduire très vite de gros 4x4 qu’ils maîtrisent à peine, et, je ne sais pas pourquoi, chaque moto qui me double me frôle. Je longe le Mékong, mais je ne le vois que rarement, car une haie d’arbustes sauvages m’empêche de profiter d’un décor qui serait bien agréable, car le fleuve est constellé de petits îlots de verdure cernés de petites plages de sable jaune. Des chèvres, des buffles lourds et patauds, de petites vaches aux yeux cernés de noir et au regard triste, des familles entières de poulets… tout le monde se promène sur la route ! Miraculeusement, personne parmi ce petit monde ne se fait écraser. Je ne peux pas en dire autant des autochtones dont la silhouette décalquée sur la route rappelle une fin tragique. Quand il y a un accident, la police trace les contours du corps de la victime à la peinture blanche. On a ainsi des silhouettes parfois grotesques, des formes de fantômes énigmatiques et souvent la moto reproduite avec une fidélité étonnante. Ici, les policiers sont des artistes ! Miro, à côté, n’est qu’un gribouilleur de toiles ! Je m’arrête quelques instants avec des marchands de « khao dam ». Ils bourrent de gros morceaux de bambous avec du riz gluant mélangé à de la noix de coco et du sucre de canne, et ils font cuire le gros tube devant ou sur un petit brasier. C’est un peu encombrant pour mon petit sac à dos, mais j’aimerais bien en manger. Je me contente seulement de faire quelques photos et de repartir. Le village de Champassak s’étire le long d’une rue bordée de bâtiments hétéroclites où chaque maison, ou presque, propose des produits de consommation courante, petites épiceries improvisées juste pour bénéficier des quelques revenus supplémentaires. Je vais dans un petit hôtel, le « Say Thong » que je connais bien et que j’aime bien pour sa tranquillité et son restaurant avec une superbe vue sur le fleuve. À midi, j’ai droit aux petits groupes de Français retraités, des gens qui ont à peu près mon âge, et à entendre leur conversation, je me dis que je ne pourrais pas rester plus d’une journée avec des gens pareils. Ce sont « Les Bidochons en voyage organisé ». Durant l’après-midi, je reste dans ma chambre pour une petite sieste et de temps en temps je vais à la terrasse du restaurant pour voir glisser le fleuve vers des lointains bleutés.

Le soir, je dîne avec une soupe de riz délicieuse (comme à la maison !) et je rejoins ma chambre à vingt heures, car le restau est désert et la rue aussi, bien que tous les petits commerces soient encore ouverts.

 

Vendredi 09 février 2018.

Champassak. 25 km

Je n’ai pas grand-chose à faire aujourd’hui, sauf attendre que le temps passe. Je flemmarde au lit jusqu’à huit heures, car pour déjeuner sur la terrasse, il fait vraiment trop froid, seulement dix-huit degrés. Dès que le soleil monte un peu dans le ciel, et ici, sous ces latitudes, il monte vraiment très vite, la chaleur arrive. Je vais jusqu’à Wat Phu en touriste en prenant le temps de regarder sur les côtés. Je traverse le village de Champassak par l’unique rue bordée de maisons de bois noirci par les ans ou de nouveaux bâtiments un peu kitch, presque démodés. Les petites rues latérales ne sont pas asphaltées. Ici, c’est comme en Thaïlande, les habitants tournent la façade de leur maison vers la rue et non vers le fleuve qui, me semble-t-il présente un plus gros intérêt. On ne cherche pas à profiter du beau, on se plie aux contraintes de la commodité. Le marchand ambulant, le livreur de glace, les différents ravitaillements viennent de la rue et non du fleuve qui est totalement désert. Pas une barque sur l’eau, pas un pêcheur dans ces eaux troubles qui ne sont d’ailleurs pas très poissonneuses. Le Mékong n’a jamais été un fleuve très fréquenté, sauf peut-être du temps « des Français » et jusqu’au moment où on a asphalté la route 13. Il y a un quart de siècle, je me souviens d’avoir descendu le fleuve dans un bateau collectif bondé en compagnie de poulets, porcelets et chevreaux entre Paksé et Champassak. J’étais avec mon fidèle compagnon de voyage Alain C, et nous avions acheté des ballons en baudruche que nous avions offerts à chaque enfant, et même aux jeunes filles qui nous semblaient avoir un visage angélique. Notre barcasse bondée était devenue multicolore, avec un air de fête qui fut soudain troublé par une panne de moteur en plein milieu du Mékong. Nous commençâmes à dériver lentement dans le silence d’abord, puis au milieu des cris, puis des hurlements de terreur des paysannes. Quand le moteur se remit enfin à crachoter, tout le monde éclata de rire comme si le mécanicien venait de nous faire une bonne farce. Les Laotiens sont comme ça : « tout est bien qui finit bien » !

 

Samedi 09 février 2018.

Champassak – Paksé 35 km.

Retour à Paksé, presque une promenade, car la route est toujours calme, et la distance est peu importante.

 

Dimanche 11 février 2018.

Paksé – Chong Mek 46 km.

Il fait frais ce matin, juste un petit vingt-quatre degrés, et un vent léger qui va me pousser jusqu’à la frontière. Sur le long pont qui enjambe le Mékong, un homme coiffé d’un bonnet de laine me barre la voie étroite réservée aux piétons et aux cyclistes. Je suis bien obligé de m’arrêter. Il a l’air tout excité et il s’adresse à moi dans un anglais plutôt rudimentaire : questions traditionnelles, d’où je viens (de quel pays), où vais-je aujourd’hui… Quand je lui réponds en thaï, son visage s’éclaire, car ma façon de m’exprimer est à peine supérieure à la sienne, mais surtout je suis classé parmi les gens du cru ! Il doit avoir une trentaine d’années, et bien qu’un peu atypique, ce personnage me semble sympathique. Il regarde avec intérêt mon beau VTT, mon maillot et mes superbes mollets, et il sort son « iPhone » en me déclarant dans un gros éclat de rire qu’il va me montrer sa maîtresse. Je suis sur le point de lui dire que si je suis parti à sept heures ce matin, c’est pour rouler avant la chaleur et que je ne voudrais pas perdre trop de temps, mais par politesse, je jette un coup d’œil sur son petit écran et que vois-je ? Un superbe VTT rouge, semblable au mien, avec des sacoches devant et derrière, photographié devant le portail tout doré d’un temple de Paksé ! Et il me raconte qu’avec « sa maîtresse », il est allé à Luang Prabang, et au nord du Vietnam à Sapa (je connais le secteur, c’est en pleine montagne !) et qu’il va souvent en Thaïlande. Bien sûr, j’ai droit à deux ou trois « selfies » et nous nous quittons presque amis. Un Laotien qui parle thaï, ce n’est pas rare, mais un Laotien qui fait des circuits en VTT ce n’est pas courant !

La route est calme, le soleil n’est pas trop méchant, et au bout de deux heures, je suis en vue de la frontière. Mon bidon est presque vide, il n’y a plus de petites épiceries, alors je m’arrête à un salon de coiffure un peu bizarre en pleine campagne. Je crée un début d’affolement parmi les deux coiffeuses et les deux clientes, mais j’enlève mon bandana pour leur montrer ma calvitie, ce qui les rassure un peu : elles croyaient que je venais pour une permanente ! Ce que je veux, c’est de l’eau, car je ne souhaite pas me retrouver à la frontière en train de crever de soif comme le mois dernier ! J’ai droit à un grand verre d’eau glacée, et même à un deuxième pour verser sur ma tête ! Elles se mettent à me poser des questions toutes en même temps je n’écoute même pas ce qu’elles disent, je suis Français, je vais en Thaïlande, j’ai chaud… Je pose le verre et je repars.

Je passe la frontière laotienne en vingt secondes avec une jolie petite employée qui est toute fière de me dire que c’est rapide. Je dois acquitter la taxe obligatoire de dix mille kips (un euro) car c’est dimanche ! Du côté thaïlandais le policier s’adresse à moi en thaï, je pense qu’il m’avait repéré à l’aller, et c’est tout aussi rapide. Je vais toujours au même hôtel, mais je paye un léger supplément pour avoir une chambre climatisée, ce qui me permet de fermer les fenêtres et d’être dans une aile de bâtiment éloignée du coq qui fait toujours ses vocalises à longueur de journée et… de nuit. Le soir, je vais manger au restaurant « Kukkik », comme d’habitude, et à force de revenir dans les mêmes endroits, je suis reçu comme un ami, et quand on est tout seul, ça fait tout de même plaisir !

 

Lundi 12 février 2018.

Chong Mek - Phiboon 47 km.

Je commence par les toboggans qui montent et qui descendent, mais avec la fraîcheur matinale, je trouve agréable. Je vois le lac scintiller au soleil au loin, en contrebas, puis après une longue descente je me retrouve au bord de l’eau avec les buffles et quelques pêcheurs à la ligne. La route est calme et je suis tout surpris d’arriver aussi vite, au bout de deux heures, à Phiboon. La routine : le même hôtel, la maman qui me fait des nouilles au porc m’a vu arriver à vélo, elle suppose que je dois avoir faim, alors elle me donne un bol tellement rempli de nouilles, de « sanquette », de morceaux de viande que j’ai du mal à tout manger ! Je paye le même prix que les autres clients (un euro), mais je suis plus méritant : je n’arrive pas en moto ou en voiture !

 

Mardi 13 février 2018.

Phiboon – Warin 46 km.

Des lignes droites infinies et monotones, mais la route monte et descend en légers faux plats, ce qui me permet d’avoir de l’air quand je roule à quarante à l’heure dans les descentes. Il fait un temps printanier bien agréable… Je suis content ! Je vais manger des nouilles frites près de la gare, et je ne sais que faire de mon après-midi, car il n’y a rien ici… Alors, je lis la presse sur ma tablette et vu les infos du moment,  je me dis que je suis bien content d’être à dix mille kilomètres de la France ! Ici, les gens ne vivent pas avec ce stress des mauvaises nouvelles, des gens qui se querellent ou qui déblatèrent contre des partis politiques adverses. D'abord, il est malvenu de critiquer, et ensuite quand on écoute les infos : tout va bien dans le pays, la famille royale aide les pauvres en leur distribuant des couvertures, des cadeaux, des sourires… Bien sûr, il y a les longs reportages sur les malfaiteurs qui ont volé la caisse de la supérette, il y a le crime sordide ou l’accident dramatique, mais à chaque fois le coupable est pris dans la poigne d’acier de la police et c’est bien fait ! Quand je dis que c’est « bien fait », je parle du montage du reportage !

Les Thaïs vivent dans une apparente insouciance, ce sont des hédonistes pour qui le souci principal est de gagner à quelque jeu de hasard, et tout est prétexte à rire et à s’amuser. Tout les amuse, les intrigue, ils sont curieux réservés quand ils ne connaissent pas et ils cachent leur timidité derrière un sourire ou un éclat de rire. « La Thaïlande, pays du sourire ». Ne nous y trompons pas ! Je compare les Thaïlandais à des chats siamois qui ronronnent jusqu’au moment où ils sortent les griffes. Le sourire cache aussi bien une déception qu’une colère rentrée, maîtrisée, mais prête à éclater. Pendant que le policier lui dresse un procès-verbal pour défaut de casque alors que tout le monde circule tête nue, le motocycliste sourit. Quand ils voient un étranger, ils sourient surtout parce qu’ils sont gênés et qu’ils ont peur de ne pas comprendre ce qu’on va leur demander. Le « sourire thaï », c’est un peu comme notre « bonjour ». Est-ce que le « bonjour » signifie que la personne qui nous le dit souhaite sincèrement que nous passions un « bon jour » ?

 

Mercredi 14 février 2018.

Ubon à Surin en train.

Ce matin, il n’y a pas grand monde à la gare pour prendre le train de sept heures. Il n’y a pas grand monde non plus dans le train, et il fait un froid presque insupportable, car je n’ai rien pour me couvrir, et je n’arrive pas à fermer toutes les fenêtres du wagon ! Les écarts de température sont si importants entre le matin et l’après-midi (parfois près de vingt degrés) qu’avec dix-sept degrés on grelotte ! D’ailleurs, à dix heures, quand je descends du train et reprends la route jusqu’à la maison avec mon vélo, je « crève de chaleur ».

 

Lundi 19 février 2018.

Surin – Ayutthaya (en train)

Aujourd’hui, je pars pour le sud du pays. Je compte faire le voyage en VTT, mais je suis obligé, par manque de temps, de m’avancer jusqu’à Ayutthaya en train. Encore un voyage vers Bangkok dans un wagon infernal à cause du bruit, de la chaleur et des secousses ! À force d’emprunter cette ligne, je la connais mieux que la plupart des voyageurs qui sont ici, dans le train. Je suis allé jusqu’à la gare de Lamchi, cette mignonne petite gare colorée et fleurie, et j’ai de la chance que le train soit dix minutes en retard, car je croyais qu’il partait à dix heures alors qu’il est prévu à 9 H 50. On s’habitue à ces retards systématiques et finalement, c’est beaucoup mieux ainsi ! D’ailleurs avec cette réputation de manque de fiabilité, en fin de compte, personne n’est jamais en retard, car si on a un rendez-vous à dix heures à Bangkok, on ne prendra pas le train qui arrive à dix heures moins le quart, mais plutôt celui qui arrive à huit heures ! Avec ce système, on est plutôt en avance à son rendez-vous ! Six heures trente de voyage… Je ne trouve pas le temps long, car il y a comme toujours la noria de vendeurs de café, de boissons, de poulet et de fruits, et puis je m’amuse en observant les voyageurs. Il y a le paysan un peu arriéré, avec son sac de riz ou de maïs qui semble un peu effarouché, il y a quelques étudiants et les familles entières, avec des enfants capables de rester assis sans déranger personne. Quand le train arrive à Ayutthaya, il pleut un peu ce qui rend le climat plus supportable. Je vais jusqu’à l’hôtel « Ayuthaya Thanni » et quand je débouche d’une ruelle, près du marché « Hua Ro », je tombe sur une procession qui occupe toute la rue sur plus d’un kilomètre. C’est le Nouvel An chinois. De superbes jeunes filles ou des femmes beaucoup plus âgées arborent des vêtements rouges et or, ou des robes longues en soie bleue ou jaune. Il y a peu d’hommes dans ce défilé, sauf des soldats d’une autre époque coiffés d’un imposant goupillon poilu, ou des musiciens. On croirait entendre l’harmonie municipale de Saint-Jean-de-Luz. D'ailleurs, les instruments sont les mêmes, il ne manque même pas le « chistu ». Sur des voitures décorées comme des chars de corso fleuri, on a disposé des autels avec des divinités chinoises que je ne connais pas, et parfois un bouddha thaï doré. Ce qui m’étonne, c’est que le bouddha chinois ventru et hilare n’a pas été invité ! Par contre, les dragons sont de la fête ! Supporté par des perches tenues à bout de bras par des jeunes gens, le corps doré du dragon, long d’une quinzaine de mètres ondule, se contorsionne, s’enroule sur lui-même en bousculant les spectateurs amassés tout le long du trajet. Quand il se calme enfin et que sa grosse tête aux yeux globuleux vient voir de près tous ces gens qui s’agitent ou s’amusent, les personnes qui souhaitent sa protection viennent jeter des billets de vingt bahts dans sa gueule béante. Le dragon est un être protecteur apportant le bonheur, la chance, donc on le respecte. Il est rouge ou doré, ni vert ni bleu qui sont les couleurs réservées aux êtres maléfiques. Un jour, en Chine, j’avais montré une image de Saint-Georges monté sur un destrier affolé, terrassant un dragon vert à la gueule rouge sang, et les gens restaient stupéfaits devant un tel blasphème. Pour nous le dragon est un monstre horrible, pour les Chinois, Saint-Georges est un iconoclaste qui mérite les pires tourments !

Le centre d’Ayutthaya est un immense marché où l’on trouve tout ce qu’on aime manger, car une fête sans nourriture à foison serait une fête ratée ! Je n’ai pas vu d’insectes frits, mais parmi de délicieuses pâtisseries ou de succulents plats au curry ou au gingembre, j’ai vu des choses bizarres que je n’aurais même pas pu essayer de manger. C’est comme le dragon, ce n’est pas bon pour tout le monde !

Le soir, je vais dîner sur la place au bord de l’eau, mais mon « chef poisson » qui met régulièrement le feu à sa poêle n’est pas là. Tout le monde est à la fête chinoise. Il n’y a que les marchands de nourriture musulmans. Je demande si je peux boire une bière achetée à la supérette, on me répond oui parce qu’on n’ose pas refuser… Quand je demande un verre, je vois bien que la serveuse au visage serré dans un foulard noir est embarrassée. Elle finit par m’apporter un verre en plastique qu’elle est allée chercher je ne sais où. Je comprends la raison : on ne peut pas mettre de l’alcool dans une timbale en inox du restaurant ! J’ai vécu deux ans en Iran, trois en Tunisie, avant cette montée de l’islam pur et dur, et je n’ai jamais vu des gens aussi radicalisés. D'ailleurs, la plupart des musulmans buvaient de la bière, ce n’est que le vin rouge qui leur était interdit. Ce soir, la clientèle sans exception est musulmane, et il n’y a pas une femme sans foulard. Je ne suis pas le bienvenu avec ma bière et mon petit Bouddha en pendentif, alors on sert des clients arrivés bien après moi en priorité, on me fait attendre et je suis sur le point de partir discrètement quand mon plat arrive. C’est un bon poulet au curry, et ça me ramène à de meilleurs sentiments. Je vais ensuite commander une crêpe à la banane à une dame au foulard bien serré sous le menton, à un stand voisin, et je me rends compte qu’elle sert les autres avant moi… Ce coup-ci je m’éclipse discrètement : sa crêpe, elle la donnera à quelqu’un d’autre… J’ai toujours vécu sans problèmes parmi des populations musulmanes, mais y a de cela quelques décennies. Maintenant les rapports deviennent plus difficiles, car on tombe sur des gens qui font du prosélytisme et qui méprisent ceux qui ne font pas partie de leur « clan ». En Thaïlande, ces musulmans viennent des provinces du sud, à la frontière de la Malaisie, et ils sont là en envahisseurs, insidieusement. Ils ont pour mission de convertir les bouddhistes, et la tâche est facile, car ils payent pour cela en apportant des aides financières aux familles en difficulté. Les Thaïlandais se méfient, ne disent rien et ils supportent… Ou du moins, ils en donnent l’impression !

 

Mardi 20 février 2018.

Ayutthaya – Suphanburi (64 km)

Huit heures et demie… J’aurais dû partir un peu plus tôt, car c’est l’heure de pointe et la circulation est un peu désordonnée. On roule n’importe où : à gauche, à droite, on zigzague, on coupe la route… Même en roulant à vingt à l’heure, je ne suis pas tranquille et puis d’ailleurs ce sont ceux qui sont derrière moi qui me font le plus peur ! Une fois sorti de la ville, je roule sur une grande route calme et large parmi des rizières vertes semées de petits points blancs que sont les hérons ou les cigognes. J’arrive à Suphanburi sans ressentir la moindre fatigue, mais par contre il commençait à faire chaud ! Je vais à l’hôtel Si U-Thong (350 bahts) où je prends une chambre climatisée, car il va faire 36° dans l’après-midi !

 

Mercredi 21 février 2018.

Suphanburi – Song Phi Nong (40 km)

Aujourd’hui l’étape sera courte, alors je traîne un peu, jusqu’à dix heures avant de partir. J’ai un mal fou à trouver la bonne route à la sortie de la ville, et heureusement qu’il y a des « cantonniers » affectés à l’entretien du terre-plein central de toutes les voies sortant de Suphanburi sans quoi je serais toujours en train de tourner en rond. La route est bordée de rizières verdoyantes, et ombragée comme nos nationales « autrefois ». Je suis stupéfait de voir le nombre d’oiseaux tués par les voitures. Il y a toutes les espèces du héron blanc aux petits rapaces en passant par de jolis petits oiseaux bruns et rouges. En entrant dans la ville de Song Phi Nong, pschitt ! pneu arrière crevé ! Il fait chaud, très chaud, car c’est juste midi, et je me mets à l’ombre pour réparer. Le trou est minuscule, je ne le repère pas. Par chance, devant une supérette, il y a une vasque avec des poissons rouges ! Et me voilà plongeant ma chambre à air dans l’aquarium sous le regard intrigué de quelques passants qui croient que je cherche à pécher les carassins ! Voilà comment quand on ne comprend pas, on peut se faire une mauvaise opinion de quelqu’un d’honnête ! Je colle ma « rustine », je remonte la roue, je veux gonfler, mais ça ne va pas vite avec ma mini pompe. Un monsieur avec un visage de bon vivant vient m’aider avec une pompe efficace. Le pneu, une fois gonflé, se dégonfle lentement à nouveau. Il faut changer la chambre à air. Qu’à cela ne tienne, le brave homme court chez le marchand de cycles du coin et revient avec une chambre à air neuve. Si le problème était survenu en rase campagne, je me demande comment je m’en serais sorti, car je n’ai pas vu de « songtaew » (taxi – pick-up) durant le trajet. Il a un restaurant juste à côté. Je vais donc manger un riz frit aux crevettes chez lui, et je suis reçu comme un invité d’honneur ! Désaltéré, rassasié, reposé, je vais jusqu’à un « hôtel-resort » à la sortie de la ville, sur la route de Nakhon Pathom.

J'ai besoin de renouveler mon forfait pour la carte sim de ma tablette, alors la réceptionniste de l'hôtel me trouve un « moto-taxi » qui me porte jusqu'à l'agence où mon arrivée ne passe pas inaperçue : un client qui arrive en moto avec la tenue (« la française des jeux ») aux couleurs du drapeau national (de Thaïlande), ce n'est pas tous les jours qu'on voit ça !

 

Jeudi 22 février 2018.

Song Phi Nong – Nakhon Pathom (57 km)

Une route large, mais une circulation infernale ! Les usagers se sont nettement assagis, alors je n’ai plus autant de frayeurs qu'il y a quelques années. Mais ce qui me gêne, c’est le vacarme ! La route à quatre voies est bétonnée, et les pneus des gros 4x4 font un bruit effrayant. La plupart des camions traînent des remorques, et font un bruit assourdissant ! Bruit… bruit… vacarme. Je m’arrête à l’entrée de Nakhon - Pathom pour manger un plat de riz et de canard, et bien qu’il ne reste plus que six kilomètres, je n'ai vraiment plus envie de repartir !

Je vais à l’hôtel près de la gare, et l’après-midi, je visite, pour la énième fois le chédi. C'est le plus grand du monde, et ça se voit ! Il domine la ville de son cône doré. Un immense Bouddha debout dans une niche observe avec bienveillance les fidèles venus faire l’offrande d’un collier de fleurs ou de quelques bâtonnets d’encens. Je le salue d’un wai respectueux, on ne sait jamais, il vaut mieux être sous sa protection ! Le soir, j'y retourne, car, sur la place, devant le chédi, il y a un grand bazar où l’on vend de tout !

 

Vendredi 23 février 2018.

Nakhon Pathom – Rachaburi (54 km)

Je suis carrément angoissé ce matin à l’idée de reprendre la route. J’ai eu un aperçu hier de ce qu’était cette Route 4 reliant Bangkok à la Malaisie, et je me demande si je ne ferais pas mieux de mettre mon vélo dans le train et de « sauter deux étapes ». Finalement, en observant bien la carte et les différents itinéraires, j’ai la possibilité de passer par des routes moins fréquentées. J’attends jusqu’à neuf heures que les gens soient au travail et que le flux routier soit un peu calmé. Le ciel est nuageux, on dirait même qu’il va pleuvoir. À la sortie de Nakhon Pathom, je demande ma route à des jeunes gens en moto et ils me conseillent de suivre la route longeant la voie ferrée. Quelle ne fut pas ma surprise, quatre kilomètres plus loin de trouver l’un des jeunes en moto pour me signaler qu’au prochain croisement je dois tourner à gauche. Il s’est donné la peine de venir jusque-là pour s’assurer que je n’allais pas me perdre. Je passe par des petits villages, je traverse des contrées agricoles irriguées par des canaux, et je trouve un cimetière chrétien. Les caveaux sont presque tous identiques, comme des boîtes à chaussures de pierre grise ou blanche, surmontés d’une croix. Je demande à une dame nettoyant les tombes si on ne pratique pas la crémation, comme les bouddhistes, elle semble trouver ma question aussi stupide qu’incongrue. « Bien sûr que non, ce n’est pas possible ! » Quand je lui dis qu’en France on peut incinérer les morts, elle me prend pour un iconoclaste. Je retrouve la grande route et son défilé de camions tractant des remorques ou de motos pétaradantes roulant à contresens. La bande réservée aux deux roues est suffisamment large. Je m’arrête pour causer un moment avec la police routière. Ils ne savent même pas le numéro de la Nationale sur laquelle on se trouve… Ils me disent de faire très attention, car beaucoup de cyclistes se font tuer sur la route. Voilà qui m’encourage ! Ce qui est bien, en Thaïlande, c’est que la route est sans arrêt bordée de petites épiceries ou de restaurants. Je m’arrête donc à dix kilomètres de Ratchaburi pour manger du poulet rôti.

Quand j’arrive à destination, je suis content de ne pas être mort ! Je vais à l’hôtel « Rachaburi D1 », une annexe de l’hôtel « Swiss » trop cher pour mon budget de routard.

 

Samedi 24 février 2018.

Ratchaburi – Phetchaburi ( 60 km ).

Je n’envisageais pas cette journée avec plaisir, mais pourtant, ce n’est pas pire qu’hier. Je reste pendant tout le trajet sur la grande route 4. Un léger vent me pousse gentiment, alors l’inconvénient, c’est que je n’ai pas d’air. C’est comme si je faisais du home-trainer en plein soleil sur la terrasse ! Pour avoir un peu de vent sur le visage, il me faut rouler à plus de 25 kilomètres par heure. Je réalise donc sur l’ensemble du trajet une moyenne de 23 km/h, ce qui est très honnête avec un VTT, un sac à dos, un âge déjà avancé et un poids de quatre-vingt-un kilos ! Si j’avais eu vingt ans, le gabarit et le vélo de Froome, j’aurais doublé tous les « gros culs » qui traînent leur remorque infernale !

À Phetchaburi, je m’installe à l’hôtel « Khao Wang ». C’est le nom de la petite montagne au sommet de laquelle se trouve le temple Phra Nakhon Khiri. Je grimpe les premières rampes pentues à pied. Il y a des singes partout, faisant des acrobaties sur les arbres, courant sur le chemin escarpé devant moi, grattant leurs puces assis sur la murette qui longe le chemin… Je remarque une petite chienne qui vient vers moi quand je l’appelle et qui me regarde d’un air triste. Elle s’approche doucement, je lui gratte la tête, les oreilles, le dos… elle aime ça. Alors, il se passe une chose inattendue ; elle se met à chasser tous les singes qui s’approchent de moi. En remerciement, elle a décidé de me protéger. Je vais sous un petit belvédère couvert qui semble être le territoire des macaques qui n’apprécient pas beaucoup mon appareil photo et qui s’approchent parfois en montrant les crocs. La chienne court à droite, à gauche, les fait fuir et vient réclamer quelques caresses. À un moment, elle se couche sur le dos pour que je lui gratte le ventre, et je vois alors de nombreux singes s’approcher et observer, intrigués. Ils ne semblent plus menaçants. Si, par malheur, je devais être réincarné, j’aimerais mieux être un singe sur la montagne de Khao Wang !

 

Dimanche 25 février 2018.

Phetchaburi – Cha Am (54 km).

Les rues sont calmes le dimanche, et sur les routes il n’y a pratiquement pas de camions ! En plus, je choisis un itinéraire parallèle à la fameuse Route 4 et peu fréquenté. Je suis en zone urbaine ou plus exactement « urbanisée » pendant dix kilomètres à la sortie de Phetchaburi. On se croit toujours en ville, mais juste derrière les petites bâtisses qui bordent la route, il y a la campagne avec ses champs et ses rizières. On construit tout le long de la route alors que chez nous, au contraire, on cherche à s’installer un peu loin. Dans ces zones-là, je suis attentif à tout ce qui peut surgir devant moi, je me méfie des motos, des voitures mal garées, des automobilistes qui me doublent, freinent quand ils sont à ma hauteur et me font une queue de poisson pour se garer. Je me demande parfois s’ils ne le font pas exprès ! Et voici la campagne avec sa route bordée d’arbres me protégeant du soleil, ses champs de cultures variées et ses canaux d’irrigation. Soudain, sur ma droite un bouddha doré étincelle au soleil. Il domine les arbres et les toits des maisons d’un petit village. Je prends une petite route pour aller le saluer comme il convient d’un « wai » respectueux. Il est juché sur une estrade qui deviendra certainement le temple quand les travaux seront terminés. La statue domine la plaine de ses dix-sept mètres de hauteur.

En arrivant à la petite bourgade de Had Chao Sam Ran, je passe devant l’imposant bâtiment qui n’est autre que « la municipalité ». Si chez nous le côté mégalomane de certains maires de villages est inquiétant, ici ça fait peur à voir ! Personne ne se demande d’où vient l’argent. Plus loin, la mer vient me barrer l’horizon. Je suis heureux de sentir un air au subtil parfum d’iode et de poisson. Cela me change de l’odeur des gaz d’échappement des camions ! La plage est longue, déserte et il n’y a pas encore tous les hôtels et toutes les boutiques qui viendront saccager le paysage ! Je prends une petite route tranquille qui me mène jusqu’à Cha Am.

Cha Am est devenue une station balnéaire un peu plus tranquille que Hua Hin, mais il y a cependant beaucoup trop de monde à mon goût. La plage est encombrée de chaises longues et de parasols, et je suppose qu’à marée haute, les gens sont tous les uns sur les autres… Bah ! Peu importe, les Thaïs ils aiment ça : aimez-vous les uns sur les autres !

 

Lundi 26 février 2018.

Cha Am – Hua Hin (29 km).

Le bord de mer n’est pas très fréquenté à huit heures et demie ce matin. Il n’y a que des vieux farangs qui marchent, qui font du vélo, qui déambulent sur le sable où viennent s’étaler de petites vagues éclatantes d’écume scintillante sous le soleil encore bas. Je n’ai pas le choix, je prends la Route 4, mais je suis tranquille, car il n’y a aucun camion, parce qu’ils n’ont pas le droit de passer dans le tunnel sous la piste de l’aéroport. Arrivé à Hua Hin, il y a une circulation impressionnante. Il n’y a aucune rocade, donc sur une rue à six voies tout le trafic de la route Bangkok – Malaisie passe dans la ville ! Je me réfugie dans l’hôtel « Baan Pak sam Anong », près de la gare. Cette petite gare de Hua Hin est d'ailleurs très sympathique, avec de vieux bâtiments de bois méticuleusement entretenus. Hua Hin était la ville de villégiature des souverains thaïlandais, et c'est ici que le roi arrivait.

L’après – midi, je vais me tremper les pieds sur la plage. Il y a moins de monde sur le sable qu’à Cha Am, et les scooters ne viennent pas faire du slalom parmi les nageurs. J’aimerais bien me baigner, mais je n’ai pas prévu de maillot de bain dans mon petit sac à dos, et puis l’hôtel étant loin, je ne me vois pas traverser la ville tout salé comme un hareng ! Il est vrai que j'aurais pu me baigner tout habillé comme les Thaïlandaises... qui ont peur de bronzer ! Je traverse le quartier où les bars se touchent, où les télés vocifèrent, retransmettant des matchs de foot que tout le monde a déjà vus. Il faut venir le soir pour profiter pleinement d'une ambiance festive !

Le soir, je vais au marché de nuit. Il y a un monde fou ! Tous les restaurants sont bondés malgré des prix deux fois plus chers qu’à Bangkok et puis je n’ai pas envie de manger cerné par des « casques à boulons » qui beuglent ou clabaudent ! Je m’éloigne un peu et dans une rue tranquille, je trouve un restaurant où toute la clientèle est européenne et âgée. Je crois même que tous ces gens, dont certains hommes sont seuls, sont une population de retraités venus ici pour trouver un confort de vie que l’Europe ne leur donne plus.

 

Mardi 27 février 2018.

Hua Hin.  

Ce matin, j’ai fait la grasse matinée : je ne me suis réveillé qu’à 6 h 40 ! De plus, je ne me sentais pas très dynamique, peu motivé, je n’avais pas encore préparé mon itinéraire… En sorte, j’étais déprimé ! Alors, j’ai décidé de rester ici un jour de plus ! J’ai flemmardé dans la chambre jusqu’à midi, je suis allé juste en face de l’hôtel pour manger un morceau de canard rôti, je suis parti à travers les grandes rues du quartier voir passer les voitures et je suis revenu dans ma tanière pour n’en ressortir qu’à l’heure du dîner. Je ne suis pas allé au bord de l’eau voir les « phoques » se baigner et les « merguez ou les boudins » rôtir sur le sable.

 

Mercredi 28 février 2018.

Hua Hin – Sam Roy Hot ( 54 km).

Faux départ ! Levé à six heures et presque fier de rendre la clé de l’hôtel à sept heures. Je voudrais bien remettre un peu de pression au pneu de mon vélo, mais voilà que ma chouette minipompe achetée au « « Big-C » de Surin, au lieu de gonfler, elle dégonfle ! Une pompe pour dégonfler les pneus ? Il fallait y penser ! J’aurais dû m’en douter, car lorsqu’on dit « je suis pompé », ça veut bien dire « je suis crevé » ou « je suis à plat » ! Donc, plus d’air dans mon pneu, plus rien pour regonfler… Le veilleur de nuit de l’hôtel essaye par tous les moyens de trouver une solution et de ramener ma pompe à de meilleures intentions, mais rien à faire. Il me faut attendre huit heures trente que le mécanicien de motos dont l’atelier est juste en face ouvre sa boutique. Je reviens me vautrer sur mon lit et à huit heures quinze, dès que mon pneu est regonflé, je pars dans une nuée de motos pétaradantes et de grosses voitures qui donnent l’impression de vouloir me bousculer. Cependant, dès la sortie de Hua Hin, je trouve une charmante piste cyclable pendant une quinzaine de kilomètres, ombragée, tranquille, à une vingtaine de mètres de la route N°4. C’est le paradis ! Puis je quitte la R4, et je m’engage dans une campagne verdoyante, sur une belle route presque déserte, avec comme décor les pains de sucre boisés d’un relief karstique.  Je sens un air marin, mais je ne vois jamais la mer, sauf parfois quelques instants entre deux bosquets ou deux petits promontoires rocheux. Je prends un petit chemin et je me retrouve au bord d'une plage déserte, près d'un hôtel de luxe pour "Robinsons fortunés". J'aimerais bien être riche et pouvoir rester ici deux ou trois jours ! Un peu plus loin, je découvre un charmant petit port de pêche caché au fond d'une étroite crique. Les bateaux aux couleurs vives attendent immobiles la tombée de la nuit pour illuminer l'horizon de leurs lanternes vertes.

J’arrive au bord de la mer, le long d’une plage déserte où quelques barques échouées sont la seule preuve que les lieux sont habités. Puis voilà quelques « resorts », hôtels de luxe déserts aux prix prohibitifs pour ma bourse de retraité-routard. (C’est trois fois le prix que je paye habituellement). Je finis par trouver un petit bungalow sous les arbres, tout près de la plage le « Pineapple bungalow » (390 bahts). C’est un coin agréable, et les moustiques le savent. Ils ont le nez fin : ils m’ont senti venir ! Juste le temps de me doucher, je suis dévoré de toutes parts et c’est un peu comme si je m’étais roulé dans les orties ! Petite précision technique : on ne peut pas à la fois se doucher et s’enduire de lotion répulsive ! Et ça, les moustiques ils le savent, et ils en profitent. Mais ma vengeance est disproportionnée : je demande une bombe insecticide à la patronne, et j’en pulvérise tellement dans ma chambre que l’odeur incommode même les maléfiques petits insectes qui avaient élu domicile dans les branches autour de mon bungalow ! Et je pars me gratter sur la plage, car le secteur n’est plus habitable à cause de l’odeur. Je suis seul sur la plage de cinq kilomètres au moins ! Je m’amuse à chantonner tous les anciens tubes de l’été des années soixante, de cette époque où tout le monde chantait avec son transistor sur la plage. Ma prestation ne doit être ni très bonne ni très juste, car une myriade de petits crabes s’enfuient à mon approche pour aller se réfugier dans de petits trous parmi les coquillages !

Le soir je vais manger dans un restaurant en plein air, je commande un poisson (un loup ou un bar, c’est comme on veut, ici on dit « plaa kapong »). Et j’attends, et la serveuse passe et repasse avec des plats qui ne sont jamais pour moi, et j’ai faim, et je me dis que j’aurais mieux fait de demander un simple riz frit. Alors, j’appelle la serveuse, et je lui demande si le bateau est revenu. Elle me regarde avec des yeux en phares d’auto, et elle me dit, comme quelqu’un qui n’est pas sûr d’avoir compris : « quel bateau ? ». En fronçant les sourcils et avec un air méchant, je lui dis : « le bateau qui est allé pêcher mon poisson ! » Elle repart alors vers la cuisine écroulée de rire, et je me dis que ça ne va pas arranger la situation, car maintenant ils vont tous rigoler au lieu de faire frire mon poisson. Les Thaïs sont comme ça, ils croient toujours que les « farangs » sont des gens sérieux, alors quand on plaisante, ils s’amusent encore plus !

 

Jeudi 1er mars 2018.

Sam Roy Yot – Prachuap Khiri Khan ( 74 km).

J’avais programmé mon réveil à six heures, mais c’est un écureuil qui m’a réveillé à cinq heures. Il faisait un raffut du diable en poussant de petits cris aigus, juste devant mon bungalow. J’ai voulu sortir pour lui tirer le portrait, mais ces bestioles-là sont très craintives. Il s’est enfui dans un frou-frou de branches agitées, et je ne l’ai plus entendu. Je prends encore aujourd’hui de petites routes calmes et peu fréquentées, et je me prends à rêver que je suis dans la montagne, car je suis toujours environné de pains de sucre et de pitons boisés. Soudain, au détour du chemin, tout rouge et or, comme plaqué sur la paroi de roche grise d’une montagne abrupte, le temple de Wat Khao Daeng apparaît parmi les arbres. Les toits superposés se soulèvent à leurs extrémités comme des queues de dragons, et, dans un coin de l’esplanade, une tête de Bouddha doré me regarde avec son sourire qui incite à la sérénité. Hé oui, le pays du sourire ! Dans ce paysage un peu tourmenté, entouré de pitons rocheux, je crains parfois que la route ne décide d’escalader quelque obstacle, mais non, elle reste toujours bien horizontale, faisant quelques détours de temps en temps ! Je suis presque seul dans le silence et l’air pur, avec un petit vent qui vient de la mer qui n’est jamais bien loin. Soudain, à une centaine de mètres, je remarque des petites bêtes noires qui courent sur la chaussée… et puis quelque chose bouge dans les arbustes du bord de la route, juste à côté de moi. Des singes ! Il y en a partout : dans les fourrés, dans le fossé, derrière moi. Je m’arrête pour prendre quelques photos, et ils convergent vers moi, pensant que je leur apporte quelque nourriture. Je me dépêche de fuir, car ces animaux sont farceurs et ils pourraient bien me dérober mon bidon, mon bandana et même ma pompe qui marche à l’envers. Et puis je n’ai pas envie qu’ils sautent sur mon sac à dos et se fassent promener pendant quelques centaines de mètres ! Je traverse le parc national de Sam Roy Yot, et ces animaux sont chez eux !

Je m’arrête pour manger une soupe de nouilles, et c’est la moins chère que j’ai pu trouver : vingt-cinq bahts ! (0,60 euro). J’en profite pour raconter des histoires avec la « Mama soupe », et elle m’offre des verres d’eau glacée qui arrivent tout juste à me redonner envie de repartir. À un moment, je ne peux pas faire autrement que de prendre la grande route N°4, pendant quinze kilomètres, mais j’ai comme consolation d’y trouver une charmante jeune fille qui a installé sa petite boutique roulante, et elle fait des jus de fruits ou des cafés glacés. C’est un moment de bonheur, d’abord parce qu’elle est très gentille, ensuite parce que son café est très bon, et enfin parce qu’elle s’est installée à un petit arrêt de bus couvert où un vent frais souffle gentiment ! Le voyage est souvent ponctué de petites rencontres sympathiques.

Avant d’arriver à Prachuap, je longe la plage malheureusement très atrophiée, car on a eu la bonne idée de construire la route par-dessus, et de bétonner le rivage ! Dans la ville, je longe ce que j’appelle « le Malecon », car cette longue avenue en bord de mer me fait penser à celle de La Havane. Et puis me voilà soudain au milieu d’un marché couvert, dans une allée étroite, parmi une foule d’acheteurs, et d’étalages de toutes sortes. Grâce à ma sonnette, je peux me frayer un passage parmi les chalands jusqu’à l’hôtel « Mont Talay ». Je prends une chambre au troisième étage avec vue sur la mer (420 bahts) et je monte dans l’ascenseur avec mon vélo ! (J’ai découvert aussi, près de la gare l’hôtel « Yutichai » à 250 bahts)

Le soir, tout le quartier est en liesse : marché de nuit, restaurants en bord de mer, musiciens et danseuses… Je mange un grand poisson, mais je n’ai pas droit à la bière, car c’est une fête bouddhiste et aujourd’hui Bouddha a dit de boire de l’eau. Hé bien quand elle est bien fraîche, l’eau, elle est aussi bonne que la bière !

 

Vendredi 2 mars 2018.

Prachuap Khiri Khan.

Je disais que j’allais aller faire un tour le long de la mer, je disais que j’allais monter au temple qui domine la ville, je disais que… Hé bien je ne fais rien ! Et c’est très bien comme ça ! Il y a une superbe plage le long du « Malecon », et personne ne se baigne. Peut-être que c’est parce que les eaux des égouts de la ville se déversent dans la baie ? De mon balcon, j’ai une vue panoramique sur la plage déserte. Je reste dans ma chambre pour faire une bonne sieste avec mon vélo et pour écrire mon carnet de bord. Le soir, je reviens manger en bord de plage, et je vais flâner sur la jetée... C'est la fin du voyage, et ce sont de vraies vacances !

 

Samedi 3 mars 2018.

Prachuap Khiri Khan.

Je vais à la gare pour acheter mon billet de train pour Bangkok. Une employée peu sympathique m’assure que je peux prendre le train de 4 h 45 avec mon vélo… Je n’ai qu’à moitié confiance ! Je verrai bien demain matin !

Je monte, par l’escalier abrupt, au temple « Khao Chong Krachok ». Des « familles nombreuses » de petits macaques se sont installées sur les marches, à l’ombre de la murette. Aucun de ces sympathiques animaux ne prête attention à moi. J’observe un gros male qui essaye de casser une noix avec une pierre. Et il tape fort, et il recommence, et il insiste… C’est incroyable l’intelligence de ces animaux… sauf que ce n’est pas une noix qu’il essaye de casser, mais une pierre plus petite ! Au sommet, presque toutes les ardoises des toits du temple ont disparu, arrachées par les singes. On a une vue superbe sur la ville et la baie de Prachuap Khiri Khan, et même sur la prison en contrebas. Je vois des détenus aller et venir dans le secteur réservé à la lessive. Ils n’ont aucune cour pour se promener à l’extérieur, aucun terrain de sport… Ils doivent voir les touristes gravir les marches jusqu’au temple, se promener, et ce doit être très dur pour eux !

 

Dimanche 4 mars 2018.

Prachuap Khiri Khan - Ayutthaya (train)

Réveillé à trois heures et quart, je vais à la gare à quatre heures comme convenu avec le personnel de la gare de façon à avoir le temps d’enregistrer mon vélo. Bon sang ! je vais avoir le temps, car mon train qui devait partir à quatre heures quarante est annoncé avec plus d’une heure de retard. Les passagers qui attendaient pour partir, à l'annonce de cette nouvelle ne manifestent pas la moindre contrariété : ils rentrent chez eux pour attendre tranquillement ou pour partir un autre jour ! Moi, j’attends. J’ai sommeil, je m’ennuie un peu, car il n’y a personne, et je trouve le temps long ! Le train arrive à six heures. Je suis en seconde classe, sur un siège confortable, dans un wagon tout en bois, et j’ai presque froid, car toutes les fenêtres sont ouvertes. Il ne fait que vingt-sept degrés ! Le lever du soleil est superbe sur les reliefs karstiques que j’ai découverts l’autre jour, et sur un ciel aux nuages d’un camaïeu de rose orange. Je somnole un peu. Le train vient du sud, et il y a une large majorité de musulmans : pas difficile à deviner, car toutes les femmes sont entortillées dans des voiles, des draps ou des couvertures et elles portent un foulard bien serré autour du visage. Je suis à côté d’un jeune homme sympathique qui somnole lui aussi. Soudain que vois-je dans la travée opposée ? Un passager qui a posé un sabre en travers de ses genoux ! Un grand sabre de parade à la poignée d’argent et d’ivoire. Comment a-t-il pu monter dans le train avec une telle arme ? Je vois son faciès : un visage simiesque avec un front fuyant, de grosses narines et un menton en galoche. Il est vêtu d’une parka élimée et chaussé de chaussures qui n’ont jamais vu le cirage. Il regarde autour de lui avec un air bovin. Je n’arrive plus à somnoler, car je le surveille discrètement. Mon voisin entame la conversation, nous regardons des photos sur ma tablette, et quand je le connais un peu mieux, je lui demande si c’est normal que notre voisin voyage avec un grand coupe-jarret. Il me répond que oui, car c’est un policier. Je suis presque soulagé, mais je lui fais remarquer qu’avec un sabre, il aurait du mal à calmer un éventuel terroriste. Il me dit tout doucement que lui aussi, il est policier. Ah bon ! voilà qui est rassurant, car j’avais justement remarqué que dans la poche de son pantalon il y avait une grosse bosse ! Alors, j’en déduis que l’homme des cavernes avec son air de primate dégénéré, ce doit être une « chèvre ». En cas d’attaque de quelque islamiste, c’est sur lui que le terroriste va se jeter, et mon voisin, avec son 7,65 il transformera l’agresseur en passoire. Bien vu !

Quand je descends du train, à Bangsue, dans la banlieue de Bangkok j’achète un billet pour Ayutthaya, j’enregistre mon vélo, et il me faut attendre de onze heures à une heure vingt. Plus de deux heures dans une gare où il n’y a pas de salle d’attente ventilée, il n’y a que des bancs sous un préau. Il fait 34°! Avec la fatigue en plus, je me sens bouillir de l’intérieur, rôtir au niveau de la couenne ! Je trouve une solution : le métro a une station juste devant la gare, il est climatisé… Hé bien je pars me promener en métro pendant huit stations, pour un prix dérisoire grâce à la réduction « aînés ». Une heure dans un endroit frais me permet de me ressourcer.

Dans le train, pendant plus d’une heure, jusqu’à Ayutthaya, je cause avec un vieux moine. Ce sont toujours les mêmes questions : d’où je viens, si je suis marié à une Thaïe, si nous avons des enfants, quel âge j’ai… Voyant que je peux m’exprimer en thaï, les voisins commencent eux aussi à poser des questions, et c’est là que le moine me rend un précieux service car, comme il sait tout de moi, c’est lui qui répond à ma place ! Il est vêtu, bien sûr, de son ample robe orange, et a pour tout bagage, une musette de toile jaune. Il descend du train avant d’arriver à Ayutthaya, et en me quittant, il me serre la main, ce qui peut paraître incongru ici en Thaïlande.

En sortant de la gare, je longe le fleuve jusqu’au « talat huaro » (marché Huaro), et je vais directement à l’hôtel « Ayuthaya Thanni ». Il est quinze heures et je ne sors qu’à vingt heures pour aller sur la place pour manger mon énorme poisson frit à l’ail et au poivre en regardant glisser le fleuve vers des zones ténébreuses. Parfois, la lueur furtive d’une lampe ou un imperceptible reflet dans l’eau signale la présence d’un riverain se déplaçant sans bruit avec une petite barque. Non loin de moi, le cuisinier s’active devant son réchaud à gaz, et il met régulièrement le feu à son wok. Heureusement que nous sommes en plein air, car une énorme flamme jaune monte à trois mètres de hauteur, illuminant tout le secteur. Je me demande si mon poisson il ne le fait pas frire au napalm !

 

Lundi 5 mars 2018.

Ayutthaya – Surin (train)

À sept heures trente, je vais jusqu’à la gare avec mon VTT. À huit heures, c’est le moment de l’hymne national : tout le monde s’immobilise, se lève, et reste figé, les bras le long du corps.

Dans le train, il fait une chaleur difficile à supporter dès qu’on s’arrête. Par les fenêtres ouvertes, un air chaud, lourd, poisseux semble coller à la peau. Les vendeurs de boissons fraîches vont et viennent et le commerce semble florissant ! Il y a aussi celles qui vendent du poulet rôti, des brochettes, des omelettes sur du riz, des fruits, des cacahuètes, des serviettes glacées, des nouilles au porc… Dans les trains, on n’arrête pas de boire et de manger. Il y aussi un wagon restaurant au cas où on voudrait le confort d’une table et d’un siège. Soudain, le train ralentit, grince une dernière fois, et c’est le silence. Nous sommes en rase campagne, à quelques kilomètres de Korat. Les ventilateurs du plafond ne brassent pas suffisamment d’air pour nous rafraîchir : je suis en train de me laisser rissoler comme un vulgaire navet ! Les passagers, eux, ils prennent tout ce qui leur tombe sous la main pour s’en servir d’éventail. La situation perdure : nous restons ainsi à l’arrêt près d’une heure. Ici, la locomotive ne va jamais à un train d’enfer. Le « train d’enfer », c’est dans les wagons quand ils s’arrêtent ! Des hommes sont descendus, et les voilà à côté du ballast, assis à l’ombre de quelques arbustes en train de fumer et de bavarder avec bonne humeur ; dans le wagon, les gens rient, s’esclaffent, racontent des histoires dont le sujet n’est jamais la panne qui nous immobilise. La même situation en France n’est même pas envisageable. À l’inconfort de la situation viendraient s’ajouter les désagréments de l’agressivité et de la mauvaise humeur des passagers ! Thaïlandais, Thaïlandaises, je vous adore ! Laissez-moi m’imprégner de votre sagesse et de votre philosophie et les moments de stress ne seront plus que de mauvais souvenirs ! Quand le train repart, personne ne manifeste sa satisfaction… c’est comme si on s’était arrêté quelques minutes de plus dans une gare, c’est tout !

Je finis par arriver à Surin avec une heure dix de retard, mais je suis arrivé, et c’est bien là le principal ! Je n’avais pas pris le train pour arriver à quinze heures, j’avais pris le train pour arriver à Surin : mission accomplie !

 

fin

 

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