Dernière modification: 09/04/2013

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Lundi 31 décembre 2012.

Don Det ( Laos ).

Nous avons deux mignonnes petites grenouilles dans la salle de bains du bungalow. Elles me regardent avec des yeux noirs étonnés, et je parviens même à les attraper. Elles sont dorées, à peine plus grosses qu'une feuille de laurier, et leurs pattes palmées, munies de ventouses leur permettent de se coller aux murs et même au plafond. Nous les avons prises en sympathie, car elles mangent tous les insectes attirés par l'humidité des lieux. Donc, nous avons pris l'habitude, entrant dans la salle de bains, de repérer l'endroit où se cachent nos deux « amies ». Mais cette après-midi, c'est un tout autre animal que découvre Amnoay : un long serpent vert-jaune au ventre blanc qui lui file devant les pieds, grimpe au coin de la porte et disparaît dans le double plafond. Nos amies batraciennes sont terrorisées, Amnoay inquiète, sent déjà qu'elle va mal dormir, en compagnie d'un reptile. Heureusement, un peu plus tard, le serpent dérangé dans sa chasse aux grenouilles décide de s'enfuir, et nous le voyons glisser sur notre toit et se fondre dans les branches des arbres. Il fait bien un mètre de long, de quoi faire une belle ceinture de pyjama !

Mardi 1 janvier 2013.

Don Det ( Laos ).

C’est un jour comme un autre qui commence par un lever de soleil incendiant l’horizon, puis le fleuve, dessinant en ombre chinoise, les contours de quelques cocotiers à l’horizon. C’est le moment le plus bruyant de la journée, car c’est le défilé des pirogues convergeant vers le marché de Makassang. La plupart d’entre elles, échappement libre, font un boucan d’enfer qui n’a même pas le temps de s’estomper dans le lointain, que la barque suivante arrive. Des villageoises, recroquevillées sous une bâche ou dans de grosses vestes trop amples sont frigorifiées Il est vrai que c’est la saison sèche et froide et que le mercure peut descendre jusqu’à dix degrés, ce qui est glacial pour ces gens. ( vers quatorze heures, il fera trente degrés ! )

Je pars le long de l'ancienne voie ferrée en vélo avec Virginie et Stéphane, deux Français rencontrés hier. Nous avons loué des vélos peu adaptés aux chemins de terre de l'île. La voie ferrée de quatorze kilomètres a été construite par les Français au temps de la colonisation pour permettre aux marchandises et même aux bateaux de remonter le Mékong barré par une série de chutes infranchissables. À chaque extrémité, deux imposants ouvrages de béton sont encore debout, et au milieu, le pont relie les deux îles. Quand nous arrivons à l'un des ouvrages, à Ban Hang Khon, le soleil est presque à la verticale et, du haut de l'énorme infrastructure bétonnée, nous dominons le fleuve qui scintille entre les touffes éparses d'arbustes, petits îlots semblables à des pompons posés sur un tapis de lumière. C'est ici que l'on peut observer les derniers dauphins Irrawaddy, rares survivants ayant échappé à la pollution, et surtout à la pêche intensive à la dynamite.

Près de l'ancien pont construit par les Français, l'on peut voir l'ancienne petite locomotive qui tirait les convois. Les rails « Decauville » étaient ceux du petit train récupérés à la fin de l’exposition universelle.

 

     
En face, c'est le Cambodge.

                       

 

Il reste, dans le village, deux maisons coloniales : l’une réhabilitée en hôtel de luxe, l’autre, l’ancien hôpital colonial, tombant en ruine. Je suppose que personne ne veut racheter ce bâtiment, car dans un hôpital, il y a des gens qui meurent, et leur esprit viendrait hanter les habitants. L’atavisme animiste des Laotiens les prédispose à de tels raisonnements et met souvent un frein aux affaires.

 

   

 

Le soir, un énorme touké à l’affût au-dessus de la porte de mon bungalow, cherche à piéger les milliers d’éphémères voltigeant autour de la lampe. Il a davantage l’air d’un petit alligator que d’un lézard. Il fait bien cinquante centimètres de long, il a un gros ventre, des pustules orange sur le corps, une longue langue qui happe tout ce qui passe à sa portée, et il vit également dans le faux plafond. Ce don que nous avons d’attirer les animaux, est tout à fait positif, me semble-t-il, et Amnoay pense comme moi, mais nous nous réfugions sous notre moustiquaire bien hermétique tous les soirs, au cas où ces charmants hôtes auraient l’idée saugrenue de venir partager notre couche !

Mercredi 2 janvier 2013.

Don Det ( Laos ).

Moment de tristesse ce matin : notre amie est morte. Notre petite grenouille s’est laissé coincer sous la porte de la salle de bains. C’est Amnoay qui a provoqué l’accident et elle en est toute chavirée, car bien que nous craignions qu’elle ne devienne trop affectueuse avec nous, nous nous étions attachés à ce placide petit animal qui se laissait même prendre au creux de la main. Et voilà la pauvre bête allongée sur le sol, les pattes étirées, semblable à un petit morceau de chiffon tout mou. Nous lui réservons des obsèques tout à fait honorables puisque je la dépose dans l’onde paisible du grand fleuve. Elle servira de pâture à quelque poisson, ou mieux, à un héron, ce qui est une fin plus naturelle, pour une grenouille que de finir lamentablement dans une cuvette de toilettes !

Dès sept heures trente, nous partons, Virginie, Stéphane et moi, aux chutes de Khone Phapeng avec la barque de Bounhome, le patron des bungalows. Il souffle un petit air frais qui nous laisserait presque croire que nous sommes au bord de la mer. Nous nous laissons glisser, à peine plus vite que le courant sur une eau encore sombre et luisante en cette heure matinale. D’énormes remous laissent supposer qu’un rocher affleure la surface, et Bounhome louvoie entre les buissons émergeant à peine, les îlots cernés de bancs de sable jaune et les rocs acérés insidieusement cachés sous les reflets du fleuve. Il connaît bien les lieux, et son regard inquisiteur cherche le passage le plus sûr. Nous sommes assis sur une natte couvrant le plancher de l’étroite barque, et nous trouvant juste au niveau de l’eau, les remous se formant dans le courant et dans quelques rapides seraient presque impressionnants si l’on se mettait à réfléchir ; car nous n’avons ni gilets de sauvetage, ni pagaies, ni même une ancre qui nous permettrait d’éviter d’être entraînés vers les chutes si le moteur venait à tomber en panne. Dans de tels moments, il faut profiter de ce qui est beau et ne pas penser aux mauvaises choses qui ont d’ailleurs très peu de chances de nous arriver. D'ailleurs, la descente du Mékong dans une barque insubmersible avec des gilets orange sur le dos et des bouées rouges et blanches sur le bord serait tout à fait inintéressante. Le risque, plus ou moins grand, fait partie du voyage et en fait tout son attrait ! Le Mékong éclatant sous le soleil encore bas file vers l’horizon, et à l’endroit où le ciel et l’eau se rejoignent, une barre de brume blanche s’agite et semble vouloir s’élever vers l’azur du ciel matinal. Ce sont les embruns montant de la chute dont on perçoit nettement le souffle à huit kilomètres.

Nous accostons à huit cents mètres de Khone Phapeng, et nous nous en approchons à pied. On ne manque pas de nous taxer de trente mille kips, et je trouve cela tout à fait contestable ! Si l’on se met à nous faire payer pour admirer les beautés naturelles de notre planète… Les Laotiens eux, ne payent pas. Seuls les étrangers doivent mettre la main au portefeuille ! Ah bon ! S’ils ne veulent pas payer, ils n’ont qu’à rester chez eux ! Et cela aussi est un raisonnement contestable…

Plus nous approchons, plus le souffle sourd de l’eau devient perceptible, un peu comme une beauté grandiose qui s’annoncerait peu à peu avant de nous éblouir au détour du sentier. Et nous voilà soudain face à une barre écumante éclatante de soleil, dévalant parmi de noirs rochers acérés. À nos pieds l’eau bouillonne, tourbillonne, hésite entre le blanc de l’écume et le jaune, avec des trous verts, glauques, des vagues s’élançant à l’assaut des parois noires, disparaissant, pour ne plus reparaître au même endroit. C’est le désordre, le chaos, la puissance de la nature à la fois effrayante et attirante. On a envie de s’approcher, de voir de plus près cette chose gigantesque qui nous fait presque peur. Et l’on escalade les rochers, juste au-dessus des sinistres tourbillons, et l’on se fait peur à se pencher au-dessus de l’écume et du grondement terrifiant de l’eau dont on sent l’odeur fade et l’humidité pénétrante. Pas de barrières de sécurité, pas de sentiers aménagés, pas de zone interdite… chacun va où il veut, s’il tombe dans les remous, personne ne le repêchera, car il sera avalé, englouti vers les profondeurs du torrent avant que personne ne puisse réagir. En mars, lorsque les eaux sont plus basses, j’ai vu les pêcheurs grimper pieds nus le long des rochers luisants et glissants pour aller jeter leurs filets dans des remous qui les avaleraient inexorablement à la moindre maladresse. Aujourd’hui, pas de pêcheurs, juste quelques rares touristes chinois qui courent et grimpent dans tous les coins comme des chèvres.

     

 

J’ai vu cet endroit à la saison des pluies, lorsque l’eau jaune bascule par-dessus les rochers avec une violence terrifiante, et si le spectacle est réellement effrayant, il est moins beau qu’aujourd’hui où les cascades éclatantes se faufilent jusque parmi les arbres des rives.

C’est ce barrage naturel en travers du cours du Mékong qui avait donné l’idée aux colons français de construire la voie ferrée de Don Khone à Don Det, de façon à ce que les marchandises puissent remonter vers Vientiane et Luang Prabang.


La poubelle fabriquée avec un vieux pneu de camion,
sur un support en pneu de moto...

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