Dernière modification: 18/03/2013

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Lundi 3 décembre 2012.

Surin.

Il fait très chaud et se déplacer au soleil est très pénible. Nous ne rencontrons pas beaucoup de piétons dans les rues de Surin. Les Thaïs ont beau être habitués, ils craignent la chaleur autant que nous.

Hier soir, une musique de variétés anglo-saxonnes nous parvenait nettement, comme si un bal populaire avait lieu sous un bosquet, à un coin de rizière, non loin d’ici. Il s’agissait d’une veillée mortuaire. Ici, le décès n’est pas considéré, comme en Occident, comme un événement triste. Il s’agit simplement d’un passage d’une vie à une autre. L’âme du défunt se réincarnera jusqu’à ce que, grâce à de nombreuses bonnes actions, on puisse mettre fin à ce cycle de souffrances, d’accablement et d’affliction de l’existence terrestre. Alors, la récompense suprême sera le Nirvana, c’est-à-dire la non-existence. Pour cela il faut aussi empêcher les esprits malfaisants de prendre possession de l’âme dans la période qui précède la crémation. Donc, pour effrayer les esprits, on fait le plus de vacarme possible. On peut donc mettre une musique que le défunt aimait bien, même si c’est du rock ou du disco des années quatre-vingts. Peu importe, car la veillée funèbre comme la cérémonie des obsèques est une fête où il est de bon ton de s’amuser, de rire et d’essayer de faire oublier le chagrin à la famille. On joue aux cartes en poussant de grandes exclamations à quelques mètres du cercueil, on s’interpelle, on fête des retrouvailles avec des membres de la famille qu’on n’avait plus vus depuis longtemps. La musique est devenue plus lente, presque lancinante, toute la nuit, sans interruption.

Aujourd’hui, c’est le jour de la cérémonie. Avant l’arrivée au temple, on tire plusieurs bombes qui font un bruit infernal, toujours pour effrayer les phis, ces esprits malfaisants qui pourraient s’emparer de l’âme. Les détonations me font sursauter, comme celles qui annoncent la course de vaches ou la corrida. Il arrive souvent que l’on emploie des musiciens pour jouer des airs plutôt entraînants dans le temple. Il y a un saxophone, une trompette, une caisse claire et une grosse caisse, bref toute la clique nécessaire pour former une banda. On attache au cercueil, un fil que chacun tient marchant à la queue leu leu et les musiciens devancent le cortège. Tout le monde fait ainsi le tour du four crématoire. Le moment de recueillement, c’est à l’heure de la crémation.

     

Mais je ne suis pas allé à la cérémonie funèbre ; par contre, j’étais invité à l’école voisine pour assister à une petite cérémonie en l’honneur de l’anniversaire du Roi. Cinq cents élèves de cinq à onze ans sont assis sur le sol de l’immense salle de réunions, et ils chantent tous en chœur avec plus ou moins de réussite. Face à eux, sur une estrade, le portrait du roi Rama IX fêtant ses quatre-vingt-cinq ans. À aucun moment les enseignants ne doivent intervenir pour assurer la discipline. Entre deux chants, on entend juste une rumeur et aucun enfant ne s’agite. Deux fillettes de huit et neuf ans viennent danser une danse traditionnelle sur la scène. Elles sont vêtues d’un sarong chatoyant et leurs cheveux relevés en chignon sur le haut de leur tête se trouvent emprisonnés dans une petite couronne dorée. Leur visage est maquillé, et l’on ne peut plus leur donner d’âge ; leur corps ondule presque langoureusement. Ce sont de jeunes nymphes presque irréelles. Enchanté, le jeune public se laisse charmer, et, curieusement, lorsque la danse est terminée, il se passe un court instant de silence avant les applaudissements frénétiques ; comme si chacun hésitait à profaner ce languissant moment.

Pour terminer, un professeur invite les élèves à une séance de relaxation. Voilà cinq cents enfants les yeux fermés dans un impressionnant silence bercés par une musique douce et par la voix envoûtante du professeur. On n’entend plus un bruit, même pas un petit frôlement. Personne ne bouge. Je ne veux pas faire de comparaisons, mais je peux affirmer qu’un tel exercice est irréalisable en France. Pourquoi ? J’en connais la raison, mais ce serait trop long à expliquer !

Claude est de mauvaise humeur, car il est malade. Il a une santé fragile, et, en plus, quelques problèmes intestinaux le tracassent. À midi, Amnoay va au petit restaurant du coin chercher des soupes que nous mangeons sur la terrasse. Il fait chaud, Claude ne parle pas, il se bat avec les nouilles de riz qui glissent de sa cuillère chinoise et qu’il ne parvient pas à saisir avec ses baguettes. Amnoay lui propose une cuillère « européenne ». Il pose alors avec violence ses baguettes sur la table, se lève comme un ressort en rugissant « m… on ne peut pas manger tranquille ! » et part vers sa chambre en bougonnant. Amnoay fait un saut en arrière, et moi, j’aboie dans sa direction : « Tu pars avant ce soir, ce n’est pas un hôtel ici ! » Il essaye bien de s’expliquer, mais ma détermination le démonte. Je lui dis : « Ce que tu viens de faire là risque de se reproduire et je ne veux pas vivre sur le qui-vive avec quelqu’un qui a de telles réactions, alors c’est terminé, tu fais ta valise et tu t’en vas avant ce soir ! » Je ne connais Claude que depuis neuf jours, mais il vient de se disqualifier, car il ne correspond pas à l’idée que je me fais du compagnon de voyage. Il prépare calmement ses deux valises à roulettes, passe devant moi sans rien dire et arrivé au portail insiste pour donner deux mille bahts ( 50€ ) à Amnoay en lui disant « Je t’assure, ça me fait plaisir de te les donner ! » Cela ne vaut pas des excuses, mais il lui semble ainsi qu’on est quitte. Et je le vois partir sur la route, traînant ses valises. Il a presque un kilomètre à parcourir en pleine chaleur sur une route cimentée où les roulettes des valises risquent de rendre l’âme et je me sens pris de remords. La punition est sévère.

 

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