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Vendredi 17 décembre 2004.

Don Det.

Nous louons des vélos. Amnoay a coiffé un bob de l'US Army, elle a retroussé ses pantalons… Elle ressemble davantage à Jacques Tati qu'à Jacques Anquetil ! À partir du pont de pierre construit par les Français, pendant la colonisation, nous longeons l'ancienne voie ferrée parmi les rizières déjà moissonnées. Le soleil est écrasant : Amnoay renonce. Je continue seul vers le village de « guest houses », le long du Mékong. Les auberges, les restaurants, les bungalows se touchent. C'est Kaosan Road ( rue des touristes à Bangkok ). Le sentier de sable jaune ne tardera pas à devenir une rue pavée et les locations de moto se montreront plus lucratives que celles de bicyclettes ! J'ai bien fait de venir maintenant : c'est mieux qu'il y a une dizaine d'années, quand je suis venu ici pour la première fois et qu'il n'y avait même pas une échoppe de nouilles, et c'est plus tranquille que dans quelques années, quand l'île se sera « urbanisée » C'est parfois surprenant de trouver des touristes dans les endroits les plus retirés, dans les coins les plus inaccessibles. Il suffit d'une grotte, d'une cataracte ou d'une petite plage idyllique pour les attirer… rien ne leur échappe !

Avec ma bicyclette, je pars au milieu des bois, des rizières, des fourrés, j'arrive à la petite plage de sable fin où se trouve l'embarcadère pour aller observer les dauphins du Mékong. Le fleuve a passé les chutes, il est plus serein et il glisse parmi les rochers gris. C'est calme, je m'assieds sur le sable et je regarde… 

 

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Samedi 18 décembre 2004.

Don Det.

Je voudrais continuer mon exploration à bicyclette, mais je ne réussis pas à me décider à lever l'ancre. Je suis rivé à la berge du fleuve comme si ce miroir glissant doucement vers le soleil levant suffisait à me donner l'illusion de me déplacer. Ici, c'est le paysage qui voyage inexorablement. Les buissons émergeant de cette surface lisse et reflétant les rares nuages roses semblent voguer inlassablement au rythme lent du temps qui coule ; « La vie est un long fleuve tranquille »… Rien n'est plus vrai !

Amnoay a descendu la berge pour faire ses ablutions à l'endroit même où, quelques instants plus tôt, quatre buffles s'ébrouaient. Elle dédaigne la salle de bains. Il est vrai que l'eau est la même et que c'est mieux de retourner à la nature. Les autochtones vivent ainsi au cours de la journée : le matin et le soir, lorsque le soleil frôle l'horizon, c'est le moment de la baignade. On peut voir les femmes, le sarong remonté sous les aisselles, la cuvette remplie de linge à leur côté. Elles font la lessive en même temps.

En fin de matinée, je pars avec Jean-Loup, un Palois de rencontre, jusqu'à l'extrémité sud de la voie ferrée. Nous roulons sur un ballast empierré, c'est infernal ! Nos bicyclettes sont de simples vélos avec un petit panier sur le guidon. Je crains la crevaison, car mes pneus ne sont pas suffisamment gonflés. Nous roulons dans un sous-bois et la promenade serait très agréable si je n'avais pas cette crainte de devoir rentrer à pied. Au bout de cinq kilomètres, nous arrivons au bord du Mékong, sur une structure de poutrelles de béton dominant de plus de dix mètres le cours du fleuve. Au centre de ce colossal enchevêtrement de piliers, par un plan incliné, on pouvait hisser les marchandises sur un chariot se déplaçant sur des rails. On pouvait même charger le sampan sur un wagon pour l'emmener au-delà des chutes, de l'autre côté de l'île. La petite locomotive à vapeur gît, renversée dans les herbes folles… Sur les traverses métalliques on peut lire « Decauville » : le matériel venait de France ! Des maisons sur pilotis se groupent en petit hameau. La plupart d'entre elles sont ornées de balcons sculptés. Elles sont plutôt belles dans l'ensemble, mais comme elles ne sont pas entretenues, elles semblent sales et vétustes. Des gosses jouent dans la poussière avec des bouchons de bouteilles. J'ai du mal à trouver une pompe à vélo, bien qu'il y ait des bicyclettes sous chaque maison. Seul, le réparateur en possède une : une antiquité de pompe à pied. Il gonfle mon pneu avec ardeur et je suis obligé de l'arrêter, car il s'en faut de peu qu'il ne le fasse exploser ! Je le soupçonne de chercher à vendre un pneu neuf ! Au retour, je suis plus tranquille, je ne risque plus la crevaison, mais ma bicyclette rebondit sur les cailloux gris du ballast et j'ai un mal fou à tenir le guidon. Par la même occasion, tous les boulons se dévissent : le panier de devant joue des castagnettes et les garde-boue demandent leur indépendance. J'arrive au pont de Don Det avec un vélo tout dévissé !

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