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Samedi 4 décembre 2004.

Vientiane.

La journée commence un peu tard, car nous ne sortons qu'à onze heures, ce qui est un tort, car nous nous privons des meilleures heures de la journée, celles où il fait frais avant que le soleil ne devienne agressif. L'avantage, c'est que la soupe de nouilles du déjeuner fait aussi office de repas de midi. Voilà une bonne façon de ne pas trop vite dilapider la fortune qu'Amnoay couve dans son sac à main.

Vientiane a davantage l'air d'une ville provinciale que d'une capitale. Elle est traversée par trois larges avenues parallèles au Mékong, coupées perpendiculairement par l'avenue ( thanon ) Lan Xan, Champs Élysée de Vientiane, avec, pour perspective, au nord-est l'arc de triomphe de béton gris de Patuxai appelé aussi Anousavali, ce qui signifie « monument », et au sud-ouest la façade blanche et grise du palais présidentiel. Sur l'un des côtés de cette large avenue, le marché Talat Sao couvert de son immense toit vert. Ces larges avenues sont bordées de trottoirs qui ne sont pas toujours asphaltés, ce qui est assez gênant à la saison des pluies. Les petites rues reliant ces grands axes sont bordées de vieilles bâtisses aux murs lépreux occupés, au rez-de-chaussée par des boutiques ou de petits restaurants facilement repérables, leur cuisine étant toujours à l'extérieur, sur le pas de la porte. Les établissements un peu plus chics se cachent derrière une devanture à petits carreaux. La plupart des maisons coloniales, avec leurs toits de tuiles et leurs volets à persiennes ont été construites par les Français dans ce style des années folles que l'on retrouve sur beaucoup de maisons bourgeoises de Pau. Ces maisons que j'avais vues couvertes de mousse noire ou tout simplement en ruine, ils y a dix ans ont presque toutes été joliment restaurées, et sont occupées par des bureaux administratifs. La circulation n'est pas encore démentielle, mais les touk-touk sont si bruyants qu'on a parfois l'impression de se trouver dans un nid de frelons ! Quand ils s'arrêtent, leurs freins couinent comme un goret qu'on égorge ou gémissent comme un chien blessé. Je n'aimerais pas habiter à côté d'un feu de signalisation ! Ces touk-touk ne sont pas carrossés, comme ceux de Thaïlande. L'avant est celui d'une moto, mais derrière le siège du pilote, on a mis une plate-forme sur laquelle deux banquettes sont disposées contre les ridelles latérales. Je vois assez fréquemment des accidents de moto, mais je n'ai encore jamais vu d'accrochage avec des touk-touk. Il faut dire qu'ils ne vont pas vite. Le code de la route est interprété avec beaucoup de liberté, les stops ne sont jamais respectés, mais les usagers s'arrêtent au feu rouge, car le carrefour est souvent pourvu d'une guérite dans laquelle deux ou trois policiers sont aux aguets pour rançonner le premier contrevenant. Le montant de l'amende est tout à fait aléatoire, il peut se négocier, et la somme versée de la main à la main va bien souvent directement dans la poche du policier. 

 

clique dans l'eau  1,2,3 soleil...clic!  clique sur la barque

 

Le soir, nous allons vers les rives du Mékong, comme la plupart des touristes et des jeunes Laotiens qui aiment bien se retrouver autour d'une de ces petites tables bancales disposées sur la digue de terre, pour boire une « Lao » bien fraîche en dégustant des oeufs de canard incubés ou des calmars séchés. Le soleil se couche au-dessus de la rive thaïlandaise où l'on distingue parmi la végétation les maisons de Si Chiang Mai. Le fleuve s'empourpre, les rares barques de pêcheurs, effilées, glissent, silhouettes noires, dans le scintillement des remous. C'est un spectacle éphémère : ici, la nuit tombe avec une rapidité surprenante. Les couleurs changent de minute en minute, le disque de corail de l'astre divin... non, non, j'arrête, d'ailleurs il est sept heures, il fait nuit, la fraîcheur bienfaisante du soir fait frémir Amnoay et c'est l'heure d'aller manger mon poisson frit à l'ail ou mon canard rôti ( suivant mon humeur du moment ).

Dimanche 5 décembre 2004.

Vientiane.

 

pour agrandir : Clic !

 

Je saute du lit à cinq heures pour aller voir le « tat bât » : les moines partant en quête de nourriture. Ils sortent des temples par douzaines, guirlandes orangées donnant à la rue ses premières couleurs, avant même que le soleil ne se lève. Il fait froid, comme en France un matin de juillet à cinq heures. Quelques fidèles attendent, assis, les jambes repliées sur le côté sur une natte disposée sur le trottoir. Devant eux, une boîte cylindrique faite de fines tiges tressées ou bien une soupière d'argent contient le riz. Dans des gamelles d'inox ou d'aluminium, on a mis des sauces ou des plats cuisinés. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les bonzes ne sont pas végétariens. Ils cachent sous leur vêtement un bol à aumônes. Ils en soulèvent le couvercle en s'arrêtant devant les généreux donateurs qui y placent, à la main ou avec une louche une boule de riz gluant. Certains moines déposent une gamelle vide et prennent une pleine... Cela a l'air d'être très organisé. Ensuite, quand chacun a eu sa part, la douzaine de bonzes se regroupent à quelques mètres, pour chanter une prière, une ritournelle sur un ton monocorde. Alors, les généreux donateurs joignent leurs mains à hauteur de leur front et remercient les bonzes d'avoir bien voulu accepter leur offrande. Je me permets de suivre les bonzes, caméra au poing, en me faisant le plus discret possible, et cela ne semble gêner personne. 

 

vat Impeng  clic sur le tableau  colle-lui un clic dans la gueule !

 

À la fin de leur circuit dans les rues du quartier, les moines se retrouvent dans la salle de prière du temple Vat In Paeng, alignés face au Bouddha. Derrière eux, assis sur des tapis, les fidèles écoutent leurs litanies toujours aussi monocordes. Ils ont apporté, eux aussi, des bonnes choses à manger, et les bonzes, ils ont faim, car si tout est bien respecté, ils n'ont rien mangé depuis hier midi ! Mais je mets en doute cette rigueur monacale, car leur doctrine évolue et s'adapte au modernisme actuel. Le bonze ne devrait avoir avec lui que sa robe, son écharpe, son bol à aumônes, son ombrelle et une petite passoire pour filtrer l'eau qu'il boit de façon à ne pas tuer en l'avalant accidentellement, le moindre petit insecte. Il ne devrait pas manipuler d'argent. De nos jours, les moines se promènent les écouteurs de leur lecteur de cassettes vissés aux oreilles, ils téléphonent à leur famille pour qu'on leur envoie de l'argent et ils payent leur place dans les bus.

Quand les prières sont terminées, les bonzes mangent de bon cœur la nourriture qui leur est offerte. Il se peut, comme je l'ai vu faire en Thaïlande, que, le repas terminé, les bonzes rendent aux donateurs la nourriture qui reste, alors ceux-ci la mangent dans le temple. 

 

clique pour grimper sur le toit      clic! clic! clic!

 

Ensuite, la cour du temple s'anime lentement. Les bonzillons, courbés sur leurs balais au manche court, nettoient les allées et la vaste terrasse devant le sim. Ils piaillent doucement et leurs robes orange papillonnent parmi les buissons fleuris. Dans ce petit parc, ils ont aménagé des petites tables sous des toits coniques, couverts de paille.

Le soleil commence à apporter un peu de tiédeur à cette journée qui commence. La ville est presque silencieuse : le dimanche, au Laos, on travaille encore moins que d'habitude ! Je suis bien ici, je suis comme eux, je n'ai rien à faire et c'est un peu comme si mon entourage m'accordait ce « droit à la paresse » que je revendique depuis le mois de mai 68 !

L'après-midi, la chaleur est très supportable, mais c'est le soleil qui cuit ma pauvre tête chauve. Alors, je me réfugie à l'ombre dans le petit parc du Vat In Paeng. Amnoay commence à se demander si je ne vais pas revêtir la robe monacale orange, et raser les derniers cheveux qui me restent. Confortablement installé à l'une des petites tables, j'écris mon carnet de bord sur mon ordinateur de poche. Quelques novices semblent un peu intrigués, mais ils restent à distance, m'épiant discrètement à travers les branches des arbustes fleuris. Puis un employé arrive avec des pots de peinture et il entreprend de donner de la couleur à une superbe statue de dragon en véritable béton armé. Aussitôt, c'est l'affluence autour de lui : on suit tous ses gestes, les mains dans le dos, sans rien dire, comme si celui qui travaille pouvait être en soi, une distraction pour les autres. Puis petit à petit les langues se délient, les rires fusent, le peintre plus bavard que les autres fait les gestes augustes du semeur au risque de repeindre les spectateurs également. Et je m'inquiète un peu pour la peinture qui risque de sécher dans les pots. Je savais bien qu'il aurait du mal à travailler sans s'arrêter ! Un dicton issu peut-être de la méchanceté des colons français, dit : « le Vietnamien laboure la terre, le Cambodgien sème le riz et le Laotien l'écoute pousser ».


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